Il fait toujours beau quand on prend la route

Dans son dernier ouvrage, Tourner en rond, l’écrivain, poète et musicien français Jean-Michel Espitallier nous propose de « disserter autour du rond-point ». Comment fonctionne-t-il ? Que dit-il de notre époque ? Un petit livre difficile à classer qui, avec esprit et légèreté, se penche sur une évolution de la route, autant pour s’approprier sa mécanique subtile que pour en décortiquer le sens.

Roaditude – C’est donc vrai, il existe un « rond-point Poincaré » à Lyon ?
Oui, absolument, c’est incroyable, n’est-ce pas ? J’ai également découvert, à Bordeaux, une place de Tourny, avec un giratoire. Pas mal non plus ! C’est la preuve que quand on est poète, on n’a pas besoin de se casser la tête. Tout est déjà écrit ! Il faut juste chercher !

D’où vous est venue l’idée de ce livre, quelle a été sa genèse ?
A vrai dire, je ne m’en souviens pas vraiment. C’est ainsi pour tous mes projets. Ce que je peux dire, c’est que je m’intéresse beaucoup aux objets en ce qu’ils racontent une époque et parfois des choses plus fondamentales encore – comme Francis Ponge et son Parti pris des choses. J’aime ce qui, en apparence, est anodin, absurde, vain. C’est en analysant cela que l’on se donne une chance de découvrir d’autres dimensions, et de mieux comprendre une époque et les hommes qui y vivent. L’absurde n’est pas une fin, c’est un moyen, un outil. Je tourne autour d’une chose (c’est le cas de le dire) pour en faire sortir le jus, comme un fruit que l’on presse. C’est exactement ce que j’ai voulu faire avec le rond-point, objet a priori banal, oublié des questions et des analyses, mais qui prend une place de plus en plus importante dans nos vies.

 « Tourner en rond »… Cette expression est somme toute assez péjorative, et vous lui donnez une place centrale (titre). Faut-il y voir une charge, une intention critique ?
Absolument, le rond-point fait écho à pas mal d’aspects du monde dans lequel nous vivons. Il y a clairement quelque chose de désespéré dans le titre de mon livre. Tourner en rond, au fond, peut résumer la condition humaine. Il y a un peu du mythe de Sisyphe dans cette affaire-là ! La semaine, nous attendons le week-end ; le week-end, nous attendons la semaine. Dans l’année, on attend les vacances, en vacances on a hâte de rentrer, etc. Nous sommes dans le désir perpétuel, et sans doute dans le manque perpétuel.

En même temps, on sent une fascination du rond-point, motif dont vous faites une véritable poétique dans votre ouvrage. Vous vous dites plus « explorateur » que « poète », mais c’est une façon de brouiller les pistes (si l’on peut dire), non ?
Oui, c’est de l’autodérision. Cette figure de l’explorateur, c’est peut-être finalement la meilleure définition de ce qu’est un poète, non ? En fait, je suis ce que je dis que je ne suis pas… Oups, je tourne un peu en rond, là ! C’est une manie chez moi. D’ailleurs, je suis également musicien, je joue de la batterie, et dans le genre circulaire et répétitif, on ne fait pas mieux que le rythme.

A l’occasion de l’une des « digressions » que vous faites, vous donnez la définition du mot « route ». On comprend bien, à vous lire, que la route est riche, qu’elle nous renseigne sur bien des choses. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre rapport à la route ?
C’est un vaste sujet… Je vis à Paris, je n’ai pas de voiture, mais il est vrai que j’adore conduire. Je crois que c’est Giono qui disait : « Il fait toujours beau quand on prend la route »… C’est vrai, et j’ai de très beaux souvenirs de départ pour le Sud, notamment. Une joie, une expérience de la liberté. Conduire, avaler des kilomètres c’est au fond écrire et plus précisément vivre un récit en train de se construire. La route, c’est très dynamique, et c’est toujours un bonheur.

A titre personnel, avez-vous une route de cœur – une route qui vous anime, qui vous émeut ?
J’ai grandi à Barcelonnette, dans les Alpes du Sud, près de la frontière italienne. Je garde une image magnifique des cantonniers des cols alpins, qui vivent au bord de la route, pour l’entretenir et la réparer. Pour eux, la route, c’était vraiment leur vie. J’étais fasciné par cette proximité quasiment amoureuse entre le cantonnier et « sa » route. J’aime aussi la sensualité de la route, l’odeur du goudron, le toucher du gravier… Mais je dois vous avouer que ce qui me fascine vraiment, c’est le train. Le train est moins banal que la voiture. Il m’arrive de passer des heures au bord des voies ferrées pour voir passer des trains, comme les vaches (sic) ! J’adore ce genre d’attente. Et puis le train aussi a quelque chose de très sensuel. Il est fluide, il glisse dan le paysage. Prenez le son d’un TGV qui passe à vive allure, comme ça, impeccable, fuyant, rythmique. C’est magnifique !


Jean-Michel Espitallier, Tourner en rond – De l’art d’aborder les ronds-points, PUF, Paris, 2016.
Et aussi : Jean-Michel Espitallier, France romans, Editions Argol, Paris, 2016.

(Texte : Laurent Pittet / Crédit photo : Marc Charmey)