12% minimum (4/5) - Monsieur le Maire est un skateboarder

12% minimum, c’est le feuilleton de l’été de Roaditude. Cinq rendez-vous « en immersion » pour mieux connaître l’équipe de longboadeurs franco-suisse Entre Couzs, qui réunit dix intrépides dont deux filles, entre rêve, passion et danger. Est-ce un sport ? Est-ce un art ?… Chapitre IV, nous retrouvons une partie de l’équipe sur la route menant au Margeriaz, dans un coin où les longboarders sont bien aimés.

Il a fallu plus de temps que d’habitude. La saison estivale, les compétitions internationales, les vacances et disponibilités de chacun. De mon côté, un emploi du temps chamboulé et des décisions de dernières minutes n’aidant pas vraiment à planifier une nouvelle rencontre. La fin du mois approche, les jours filent et défilent, la page blanche reste immaculée, sans vraiment d’histoire à raconter. Projetant un moment de partir dans les Dolomites pour rejoindre les Couzs, c’est finalement à domicile, dans le massif des Bauges et sur la route menant au Margeriaz que je retrouve une petite partie d’entre eux.

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L’association savoyarde (regroupant les deux Savoie) La Fée des Rations de Ride à Roulettes (plus facilement appelée « l’Affreux » par ses adhérents) y organise un freeride. Anne, Augustin, Jules et Max « Faya Bob » – blessé lors de nos précédentes rencontres – sont de la partie. Le temps orageux semble suffisamment clément pour valider l’événement. Quittant ma montagne de Bange, je me retrouve trente minutes plus tard en leur compagnie sur les pentes du Margeriaz. Le paysage est incroyable et la route semble plus que propice aux joies de la glisse à roulettes. Certains la trouveront technique, avec de superbes sections bien rénovées et d’autres parties beaucoup moins évidentes, une descente très psychologique. D’autres diront que les trajectoires et la lecture de la route est radicale et engagée. Tout simplement.

Le chrono s’affole
Peu de lacets ici. À deux gros virages près, le reste de la route va vite, très vite avec des « pif-paf » – sinueuses courbes s’enchaînant les unes après les autres et permettant aux skateboarders de s’en donner à cœur joie. Cœurs qui battent à tout rompre pour qui se trouverait nez à nez avec cette meute de furieux. Un cycliste ayant échappé à la vigilance du gardien, ou peut-être amateur de cueillette aux champignons, et surgissant d’un coup hors de la forêt sur la route, en fait d’ailleurs les frais, et manque de peu une collision avec des lugeurs lancés à largement plus de 90 km/h. Un radar a spécialement été installé pour l’occasion. Le chrono s’affole, le chrono m’affole.

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Ces trois jours sont partagés entre grand ciel bleu et orages violents, chaleur étouffante et vent glaçant, soleil accablant et pluie battante. À l’abri, et quand le soir vient, la résistance s’organise. Apéritifs, partie d’échecs, discussions passionnées sur les derniers épisodes de Dragon Ball Z, bilboquet… Tout est bon pour passer le temps, attendre que la pluie ne cesse ou que Little Tune, le dj longboarder, balance ses sets electro-plus-ou-moins-pop-mais-toujours-dansant. Le reste des Couzs se trouve actuellement en Italie, à Verdiccio, sur une étape de la Coupe du monde. Même absents, ils sont le sujet de nombreuses conversations. Et pour cause, Lyde vient de remporter l’étape devant une canadienne, une brésilienne et une italienne. Et si Marjorie s’est blessée (une épaule déboîtée qui risque de la tenir loin des routes pour quelques semaines sinon mois), les autres Couzs se sont aussi bien fait plaisir avec une victoire pour le suisse Tristan Cardillo en Open alors qu’il n’est censé courir qu’en Junior. Yanis termine neuvième, et si les résultats de Lucas et de Gaétan ne sont pas aussi brillants (quoique tout à fait honorables), leurs temps lors des qualifications montrent à quel point leur place parmi l’élite mondiale est complètement méritée. Ils rentrent tous dans le top 10.

Me perdant moi-même dans ces explications, Anne éclaire ma lanterne. Les qualifications se font seuls. Contre la montre. Ensuite, il y a un système d’élimination en direct. Quatre riders descendent en même temps, et les deux premiers éliminent les deux derniers. À ce petit jeu, Tristan est un miraculé, victime d’une faute de l’un de ses adversaires qui l’empêche d’accéder aux finales dans un premier temps, avant que le jury n’use de la vidéo et de ces désormais omniprésents replays. La faute ne peut être ignorée, Tristan accède à la grande finale et la gagne avec panache.

Anne aussi aura bien skaté les semaines passées. Présente à Kozakov, en République Tchèque, pour la première étape européenne des championnats du monde, elle termine à la quatrième place, puis quelques jours plus tard, en Autriche, pour le King’s Gate (autre épreuve internationale), à la cinquième place. Elle m’avoue ne pas s’être sentie sereine au début de la compétition. Tout est vite rentré dans l’ordre. Dans l’une des vidéos qui traîne sur internet, on la voit s’appuyer sur la planche de son adversaire, à défaut de place pour poser la main au sol. « J’aime bien la compétition mais je préfère vraiment les chronos. La route est pour toi seule, il n’y personne que tu puisses gêner ou qui va t’empêcher de prendre la trajectoire que tu veux. »

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L’agressivité et la combativité
L’agressivité et la combativité nécessaires pour gagner des épreuves majeures est d’ailleurs ce qu’il manque encore à Lucas et à Gaétan pour rentrer régulièrement dans le top dix. C’est ce qu’on appelle l’expérience et nul doute qu’ils en auront plus à l’issue de cet été. Ici, tous crient à tue-tête. Ces gars tutoieront les sommets du longboard-skate d’ici très très peu.  En attendant, ici au Margeriaz, tout le monde parle de leurs performances avec enthousiasme. Les Couzs sont responsables d’une émulation certaine. Ceux qui les ont vu grandir et évoluer depuis quelques années en sont fiers comme on le serait de ses ouailles. Ceux qui se sont mis à rouler après les avoir rencontrés sont en admiration comme on le serait d’une grande sœur ou d’un grand frère.

Parmi les participants, Victor revient d’une sale blessure dont l’anecdote de l’histoire mérite d’être ici contée. En pleine descente, suivant Marjorie de très – trop – près, il attrapa le coté de sa planche pour mieux contrôler son virage, mais vint l’écraser contre le skate de Marj’ et y laissa dans une violente chute l’une de ses phalanges. Anne suivait elle aussi de près, témoignant ainsi de la scène aux premières loges. Le verdict est douloureux. Double fracture ouverte, et de longs mois sans pouvoir toucher le bitume de la gomme de ses roues. J’ai l’impression que chaque sortie, freeride ou championnat, se doit d’avoir son lot de blessures choquantes. Anne ne s’est jamais sérieusement blessée, me dit-elle, elle se protège et fait tout pour éviter l’accident. Un gamin enlève son cuir devant moi, regarde son coude ensanglanté après une vilaine chute, et rigole en disant que ce n’est rien et qu’il s’attendait à pire. Je ne peux là que donner un signe de tête approbateur. De toute évidence, il se fout d’entendre mon avis quant à la gravité de l’impact qu’il venait de subir. Il repart tête baissée, droit dans la pente, bien déterminé à battre son record de vitesse en arrivant dans la dernière ligne droite, là où le radar est en place. Le record tombe vite.

Père de famille
Ce week-end à domicile, improvisé plus que de raison en ce qui me concerne, me permet aussi de voir un peu plus les derrières de la vie de ces fous de l’asphalte. Max – surnommé Faya – est un artiste joaillier, fin et précis, minutieusement concentré dans son travail de précision. Jonathan me remonte en voiture depuis le bas du spot. Entre deux discussions sur les Couzs et leurs récentes perfs, il m’avoue être architecte, et aussi avoir beaucoup moins de temps qu’avant – étant désormais père de famille – pour le skate. Mais ces menus plaisirs sont remplacés par d’autres. Celui d’être avec sa femme et ses enfants, de passer du temps ensemble. Le skate ne lui manque alors pas autant que ce que l’on pourrait penser, et il s’éloigne en souriant, songeant au moment où ses enfants se mettront au skateboard.

Mais que pensent les parents justement des faits d’armes de leurs progénitures, suicidairement tendancieux dans leurs quêtes de l’extrême ? On me répond que la plupart ne préfère pas trop savoir. Un peu comme lorsqu’ils vous voient rentrer de soirée, qu’ils savent que certains abus ont largement été dépassés mais que, vous voyant revenir sain et sauf, tout péché sera absout dans les minutes qui suivent, perdu dans un oubli volontaire. Quelques-uns ont des parents qui baignaient déjà dans le milieu extrême. Snowboard, windsurf, seule l’idée que la route ne soit pas liquide vient légèrement tempérer la fierté qu’ils leur portent. Au final, seule la passion compte.

La pluie puis la tempête s’installe. La foudre s’abat à quelques mètres de nous, des tentes s’envolent dans le camping. Plus bas, à Chambéry, des toits s’envolent. La route est détrempée, rares sont les riders motivés à retourner rouler suite à un tel déluge. L’évènement se termine sous les yeux du maire, satisfait. Des rumeurs suggèrent son souhait de réhabiliter l’intégralité de cette route, parfois cahoteuse. Son soutien au monde de la descente sur asphalte est sans équivoque, M. le Maire est un skateboarder, les jours de glisse à roulettes en Savoie s’annoncent heureux.

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Lire les épisodes précédents: Episode 1 – Episode 2 – Episode 3 – Episode 5

(Texte et crédits photo : Colin Hemet, Chambéry, France)