En route pour la vérité

Les deux compères Sylvain Tesson et Thomas Goisque publient En avant, calme et fou, où ils reviennent, l’un avec ses mots, l’autre avec ses images, sur 25 ans de virées moto à travers le monde. Une « esthétique » qui séduit celui qui a le goût du voyage et de l’aventure, même si l’ouvrage déçoit par sa forme. 

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Lorsqu’en 2015 nous avions lu Berezina de Sylvain Tesson, c’est toute une vie de motard que nous avions découverte en creux du projet, enthousiasmant, de ce récit. Une vie d’aventure et d’amitié, une vie d’expérience et de culture, une vie de mécanique et de contemplation. En avant, calme et fou, sorti ces jours en librairie, n’est pas un récit, mais plutôt un essai, à la fois philosophique et photographique, qui nous entraîne aux quatre coins de la planète – Chili, Bhoutan, Atlas marocain, lac Baïkal, notamment – pour dessiner une « esthétique de la bécane », à moins que ce ne soit une mystique… L’ensemble, a priori très disparate, est organisé en quatre thématiques (la route, les rencontres, la machine et la halte) et rythmé par une succession de phrases et de citations.

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Kerouac et Easy Riders
Parcourir ce livre, laisser son regard rouler sur les images de Goisque, se faire prendre par la gouaille bien là de Tesson, est un élan qui n’est pas déçu, un vrai plaisir. Ces deux sont des intrépides, des infatigables, et ils ont du talent, l’un avec sa plume, l’autre avec son appareil photo. Mais à la fin, que reste-t-il ? Qu’apporte cet ouvrage de singulier ? Prendre la route, pour cette petite bande, c’est fuir l’ennui et l’étroitesse, découvrir ensuite la « transe » du bitume, cet état particulier dans lequel nous porte le défilement des kilomètres, tantôt hypnose, tantôt méditation, et qui laisse entrevoir, parfois, une promesse de destin, une possibilité de sens. Pas de grande révélation ici, il faut le dire. Tesson se range d’ailleurs explicitement du côté de Kerouac et des bikers d’Easy Riders. La route est une religion, qui apporte un peu de répit, sans jamais trahir.

Bien sûr, il y a les images de Thomas Goisque. Tantôt paysagistes, tantôt portraitistes, elles captent bien les pépites de beauté et d’émotion offertes par l’aventure. Mais il est regrettable qu’elles soient mal servies par un travail éditorial qui n’est digne ni du sujet, ni des auteurs de ce livre. Papier glacé rappelant le plus cheap livre de supermarché, effet de repoussage totalement superflu sur la couverture, composition incompréhensible de l’iconographie (le point de tension des images est systématiquement coupé par la reliure), typographie fade (et on ne vous parle pas du recours abondant à l’effet de biseau) : nous aurions voulu un beau-livre pour célébrer La route selon Tesson et Goisque, nous avons entre les mains un produit de grande distribution qui sent un peu trop le coup de librairie à la veille de Noël. Vraiment dommage.

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La halte
Est-ce un hasard, c’est dans le dernier chapitre, intitulé « la halte », que la lumière nous est apparue. « C’était pour cette raison précise, écrit Sylvain Tesson, que nous allions à motocyclette : jouir du moment où, le soir, nous allions préparer le bivouac. » Faire le feu, écrire les péripéties du jour, boire du vin ou de la vodka, fumer le cigare, lire de la poésie, contempler les étoiles : le rituel de la halte semble bien rodé, et l’on apprend qu’il n’est pas tant une forme de repos ou de décompression, qu’une formidable libération de la parole – de la parole vraie. « Nous nous disions des choses qu’aucun d’entre nous n’aurait osé prononcer chez lui, à la table familiale, devant son patron, au micro d’une radio ou devant une assemblée. Des choses horriblement vraies, des choses affreusement sincères, des choses pathétiquement spontanées. »

Au-delà de la fuite, des sensations ; au-delà de la contemplation et de la découverte ; au-delà de la curiosité et de la convivialité… La route est belle parce qu’elle permet l’éclosion de la vérité entre les êtres.

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Sylvain Tesson, En avant, calme et fou, avec des photographies de Thomas Goisque, Albin Michel, Paris, 2017.

(Texte : Laurent Pittet, Nyon, Suisse / Crédits photo : Albin Michel pour la couverture, Fotolia-avtk, Marc Charmey)

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