Rouen sans fin

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Nous avions rencontré Emmanuel Lemaire aux Rencontres du carnet de voyage de Clermont-Ferrand, alors qu’il présentait Rotterdam, un séjour à  fleur d'eau. Un coup de cœur. Il nous revient avec un nouveau récit graphique, consacré cette fois-ci à sa ville natale (Rouen), mais toujours empreint de poésie, d’architecture et d’humour. Rencontre.

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Roaditude – Emmanuel Lemaire, Rouen par cent chemins différents est la deuxième bande dessinée que vous publiez. Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?
Emmanuel Lemaire – A quelques cours du soir près, je suis  autodidacte en dessin.  Dans la vie, je dessine la nuit et le jour je suis magasinier de bibliothèque. Je réside et travaille à Rouen (ouest de la France). Dessiner n’est  pas une activité que j’exerce à plein temps mais une passion obsédante.

Quelles sont vos influences en matière artistique ?
Beaucoup de bande dessinée. Je lisais le journal Tintin enfant. Grace à cet hebdo, j’ai longtemps rêvé d’être Johnatan (NDLR, le héros de Cosey)  pour marcher dans la montagne au Tibet avec un sac à dos avec une armature en fer.  Après, ce sera Corto Maltese qui me fera voyager mais pour de vrai  cette fois: Equateur, Rhodes ont été des trips d’étudiant. Grosse claque graphique en découvrant Will Eisner et son New-York extraordinaire. Graphiquement, la découverte de Breccia, Otomo ou encore Tha  m’ont fait avancer. Au niveau des dialogues, des textes,  c’est  Alack Siner qui a  marqué mon imaginaire. Il y a aussi la peinture. Alechensky, Valotton, Henri Rivière m’ont beaucoup marqué. Le graphisme et la typographie m’intéressent aussi. Je suis curieux de tout…

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Après Rotterdam, vous nous emmenez à Rouen. Quel est votre rapport avec cette ville, et pourquoi en faire le décor d’un livre ?
Rouen est la ville dans laquelle je suis né, dans laquelle je vis et travaille aujourd’hui. Elle est située le long de la Seine entre Paris et la mer. C’est une ville que j’ai toujours dessinée. Inscrire un récit dans ce décor est quelque chose qui me trottait depuis longtemps dans la tête. Dans Rotterdam, un séjour à  fleur d’eau, j’observais une ville qui se construit sous le niveau de la mer dans un monde où l’eau grignote les terres petit à petit. Dans Rouen par cent chemins différents,  je me mets en scène en train de chercher mon chemin en évitant de tourner en rond. Autrement dit, en évitant de prendre deux fois la même route. Bref, les villes me fascinent, les dessiner est un plaisir.

Vous êtes un fabuleux dessinateur urbain. Comment travaillez-vous ?
Merci. J’essaie d’être le plus spontané dans le rendu du dessin. Tout est dessiné sur du papier. Graphiquement, j’essaie de dessiner mes traits toujours du bas vers le haut, je ne sais pas pourquoi, mais ça leur donne plus de force (j’ai appris cela en m’initiant au sumi-e) puis se pose la question de savoir si « le dessin est à l’intérieur ou à l’extérieur du trait » , autrement dit quelle place accorder au vide dans les dessins. Ensuite, je scanne/assemble/bricole/peaufine sur ordinateur.  Procéder ainsi me   donne une grande facilité de « mise en page », mise en page qui est mise au service de la narration. Pas de couleurs ? Il y a dans le noir et blanc une sobriété, une simplicité et une force qui me séduisent. Cela dit, dans la BD, j’enrichis le dessin de deux nuances de gris (clair et foncé), des trames qui, de -ci de –là, apportent de la profondeur et de la matière au dessin.  Par ailleurs, il y a le travail de la documentation qui se fait à base de photos, de croquis. Il occupe une grande place dans le temps de la réalisation.

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Votre héros est angoissé à l’idée de faire deux fois le même itinéraire pour aller au travail. « La routine n’aura pas ma peau » dit-il, menant « un combat quotidien contre la monotonie ». Grâce à son itinérance sans cesse renouvelée, il s’extirpe de la tristesse, termine son œuvre et retrouve l’amour. Plus qu’un « guide de voyage », c’est un ouvrage de bien-être que vous avez voulu faire ?
Je suis content que cette bande dessinée suscite quelque chose d’aussi positif auprès de vous. Ca me touche vraiment. D’autres personnes ont trouvé que c’était un peu torturé. J’espère aussi donner envie aux lecteurs de découvrir Rouen comme j’ai pu donner l’envie de découvrir Rotterdam.

Quels sont vos projets d’avenir ? Notamment, allez-vous poursuivre vos explorations de ville ?
J’aimerai, comme vous l’avez deviné, poursuivre dans la veine urbaine. Je cherche une ville qui commencera par les lettres R et O comme Rotterdam ou Rouen.

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Emmanuel Lemaire, Rouen par cent chemins différents, Warum, Paris, 2018.Retrouver Emmanuel Lemaire sur son site Internet.

(Interview :Laurent Pittet.Nyon, Suisse / Crédits photo : Marc Charmey, Emmanuel Lemaire, éditions Warum)