Philippe Artières, Oedipe route

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Dans Des routes. Accrochage, Philippe Artières, directeur de recherches au CNRS, à l’EHESS, saisit la thématique de la route en l’approchant sous une multitude de perspectives qui s’entrecoupent comme autant de chemins. Soumise à des perspectives livrées par le cinéma, la littérature, la photographie, la psychanalyse, les manuels de conduite, la route se trouve interrogée en tant que lieu inducteur de sens, de fiction, d’histoires. Loin d’être un moyen de communication, une zone de passage reliant des points géographiques, la route se présente comme un site autour duquel se construisent des agglomérations, des vies.

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Au diapason de son sous-titre, Accrochage, l’essai se développe tout en accrocs, partant de la mort d’Albert Camus sur une route de l’Yonne, bifurquant vers des films (Les Choses de la vie de Sautet), des bulletins d’accidents, des incursions dans les méandres du guide Michelin. L’itinéraire des routes Paris-Strasbourg côtoie des données factuelles, procès-verbaux, audiences publiques, listes d’accrochages mortels dans des allers-retours entre réalité physique, géographique et imaginaire de la route.

Philippe Artières dessine les mille et un territoires de l’objet « route » au travers de représentations diverses (carte, plan, données techniques, échappées fictionnelles…). Comme un inventaire de l’alpha et de l’oméga des voies (chemin, sentier, route, grand-route…) qui relient des mondes et qui ont évolué au fil du temps, passant de la route romaine à nos autoroutes. On sera frappé par l’attention particulière que l’auteur porte à la route comme porteuse de narration, de drame, de tragédies, à son statut de « nexus », de nœud où la vie se voit souvent fauchée.

Mythe fondateur
Convoquant l’étude de Louis Roussel, « Le récit du meurtre de Laïos dans Œdipe-Roi », le livre se clôt sur le mythe fondateur d’Œdipe. Le parricide a lieu sur une route étroite. L’embranchement géographique dictera un embranchement événementiel, existentiel. Croisant un équipage royal, Œdipe se voit apostrophé par le cocher qui le somme de se ranger. De Sophocle à Euripide, les versions diffèrent. Ceux qui n’auraient jamais dû se rencontrer à ce moment, en ce lieu, se retrouvent face à face. Ironie du destin, la prophétie des oracles se réalisera grâce au concours de la route. L’altercation éclate. Blessé en son orgueil, Œdipe frappe celui qu’il ignore être son père, le roi Laïos. La machinerie infernale des dieux est mise en branle. La route a catalysé le malheur comme elle le fait dans La Fureur de vivre, Sailor et Lula, Trafic, films que Philippe Artières mentionne. Comme si, au travers de la route, la carte de l’inconscient individuel et collectif se déployait. Vitesse de la vie intense, accélération de la mort, carrefour d’Eros et de Thanatos : la route condense les deux polarités, dans un jeu d’équilibre sur le plaisir et son ombre, le danger, la griserie du risque, du point de non-retour.

« J’ai toujours voulu tenter d’écrire un livre sur la notion d’événement (…) Il y a quelques mois, je me suis souvenu que, enfant, j’aimais me tenir au milieu de la banquette arrière de la R16 familiale (…) Je crois que l’historien contemporain est à cette même place. Il ne conduit pas le véhicule, il y est pourtant embarqué ; il ne se tient pas à côté du pilote, à la place du mort ; il en est cependant l’un des passagers ; un passager de l’arrière, « un back sitting driver », disent les Anglo-Saxons ; parce qu’il voit juste après ; se tenant au centre de cet arrière, il a une vision unique de ce qui est en train de se dérouler ».

Dérive
Philippe Artières nous invite à un itinéraire non fléché, vagabond, à une dérive où la route est à la fois le sujet de fascination, l’objet d’étude, le personnage et le creuset de l’imaginaire.


Philippe Artières, Des routes. Accrochage, Pauvert,Paris, 2018.

(Texte :  Véronique Bergen, Bruxelles, Belgique / Crédits photo : Marc Charmey, éditions Pauvert)

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