"Africa Riding" : sur les pistes d’un continent décomplexé
La série Africa Riding, produite et diffusée par Arte, part à la rencontre d’une communauté de « riders » qui secouent les inerties culturelles et sociales en Afrique. Et jettent dans le fossé quantité de stéréotypes et d’idées reçues sur le continent. Coup de cœur à voir en libre accès.
Il est trop souvent commode d’imaginer et de rendre compte de l’Afrique comme un tout homogène, dont chacun de pays serait traversé par les mêmes dynamiques, les mêmes caractéristiques, la même culture. Cette vision occidentale et industrielle, parfaitement réductrice, la série réalisée par Liz Gomis l’évite au profit d’une identité plurielle, contrastée, mouvante, dont les routes et les rues constituent les lignes de fractures et les allées franches.
Nouveaux horizons
Passant du Sénégal en Ouganda, du Rwanda au Ghana, la caméra suit des passionné(es) de skateboard, de rollers, de vélo. Montre combien l’usage qu’ils font de la voie carrossable et de leurs modes de transports défie les codes, ouvrent de nouveaux horizons. Cette aire de jeu faite de pistes poussiéreuses, de trottoirs défoncés, de rues bondées ou de places désertes, de cahots et de fluidité, c’est leur piste de décollage. Tout au long de capsules de 7 à 8 minutes qui collent à la route, à la rue, aux individus et aux communautés qui les habitent, les bordent et les font vivre, Africa Riding suit les pistes d’une Afrique décomplexée, qui sort des rails.
A Accra, capitale du Ghana, Dominique est la seule femme à s’ériger fièrement sur un skateboard. Dans une société conservatrice comme celle qui l’a vue naître, c’est un défi permanent, une déclaration de liberté, d’autonomie qui dépasse le mode de déplacement pour incarner un mode de vie. Car Dominique, son skate, ses pantalons baggy, ses baskets et ses t-shirts défient les injonctions vestimentaires imposées aux femmes, coincées entre deux clichés : talons aiguilles ou couverture pudibonde des membres. Cette liberté d’expression par le vêtement, l’attitude, les aspirations, est contagieuse et emporte avec elle couturières, artistes et autres alliés masculins dans une conscience politique nouvelle. Celle-là même qu’embrasse Modou, au Sénégal, lui aussi skater et tour à tour street artist, grapheur, peintre, designer. Il raconte, entre deux plans montrant ses prouesses, l’ancrage culturel multiple de la planche et des rêves qu’elle génère.
Sillage de liberté
A Kampala, capitale de l’Ouganda, c’est le vélo qui trace un sillage de liberté dans un pays ou la parole, les aspirations, les orientations politiques ou sexuelles sont encore trop cadenassées : Ibrahim et son BMX customisé, monté avec des pièces de récupérations glanées dans les marchés de la ville, ou encore Marion, institutrice et coursier à vélo, première présidente féminine du Kampala Cycling Club, en défient les inerties, les mythes (une femme ne peut s’aventurer sur un vélo, au risque fantasmé de déchirer son hymen) et les restrictions.
Foncez sur le site d’Arte où les sept capsules sont disponibles en libre vision (ou alors sur Youtube, où on peut les visionner d’une seule traite). Car avec son format court, fluide, qui applique sobrement les codes du skateboard video né au tournant des années 90, Africa Riding est une incursion à la fois grave et légère sur des routes mal connues, qui nous révèlent tout ce qu’elles recèlent encore de désirs d’émancipation.
Lien de la série sur arte.tv : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-017192/africa-riding/
(Texte : Nicolas Bogaerts, Clarens, Suisse / Crédit photo: arte.tv)