"Clinton Road", une BD hantée

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Dans sa dernière production désormais disponible en français, Vincenzo Balzano s’empare de l’une des routes les plus mystérieuses d’Amérique pour un voyage fantasmagorique, en bande dessinée, qui excelle par son trait singulier au crayon et à l’aquarelle.

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La légende raconte que la Clinton Road, qui s’étend sur plus de 15 kilomètres d’asphalte à West Milford, dans le comté de Passaic, New Jersey, est l’une des routes les plus hantées des États-Unis. Disparitions, phénomènes surnaturels, spectres errants, créatures terrifiantes, voitures fantômes aux phares aveuglants, temples druidiques maudits… autant d’histoires étranges, racontées et relayées sur la toile. Vincenzo Balzano puise dans cette source fertile pour un road trip cauchemardesque sans retour. Jusqu’ici, l’illustrateur italien a officié au dessin avec les romans graphiques The Cloud et Run Wild (Boom! Studios) et la couverture de Revenge (Marvel Comics). Avec Clinton Road, il signe un one shot en solo de 144 pages où rêve, folie et réalité se confrontent et se confondent. 

Traversée chaotique 

Balzano nous convie ainsi à une plongée entêtante dans l'Amérique des seventies, au rythme de Bad Moon Rising de Creedence Clearwater Revival et Wish You Were Here de Pink Floyd. Clinton Road trouve sa singularité via un dessin épuré et éthéré, au crayon et à l’aquarelle ; des teintes grises et brumeuses, avec des touches de couleur, jouant même avec l’effet négatif-positif pour des nuits noires et oniriques. Si le scénario reste prévisible, avec peu de dialogues, l’auteur brise le code spatial des cases et envahit les pages. Décadrage, plan débullé, contre-plongée, vue du ciel… Sa mise en scène devient cinématographique et multi-référentielle. De Stephen King à David Lynch, en passant par Fargo, Les Autres, The Crow et bien d’autres, il surfe avec panache sur le thriller psychologique à twist et le cinéma de genre. Il accentue même le trait sur certains de ses personnages pour croquer des visages connus, comme Billy Drago, échappé des Incorruptibles, John Goodman ou encore Gillian Anderson en Scully.

Mais Balzano joue surtout la carte de l’atmosphère. Absorbante, glaciale, sombre et poétique, l’ambiance mystérieuse s’impose dans ce voyage introspectif, entrepris sur ces kilomètres de goudron, exploitant ainsi la machine à fantasmes collectifs d’une Amérique évanescente.

 Quête éperdue

John est un ranger solitaire et taiseux qui patrouille sur la Clinton Road à bord de son pick-up, pour enquêter sur des disparitions de chiens et de chevaux. Il ne croit pas à tout le folklore local et les histoires de fantômes. Mais au fil de ses rencontres, les pistes se brouillent. Tout comme les perspectives. Et d’un lieu à un autre : entre le bar de son ami Sam, la cabane d’un homme près du lac, sa maison vide où son fils semble lire inlassablement Moby Dick, et les bois où surgissent ours, loups et gangsters armés de sulfateuses des années 1930.

Progressivement, les repères temporels se bousculent et le froid glacial imprègne l’espace, liés à la douleur grandissante de ce père à la dérive, en quête de vérité et de son fils disparu. Son deuil nous happe, dans ce ballet hallucinatoire avec une baleine blanche et dans cette forêt, cernée par une nuée de corbeaux, où les esprits des morts renaissent. Comme John, on avance à tâtons, vers quelque chose de plus obscur, aux abords de Clinton Furnace, ce four délabré, chargé de croyances ancestrales. Bien que codifiée, Clinton Road s’extrait finalement d’une certaine linéarité, pour une sortie de route des plus oniriques, issue vers la paix des âmes.


Vincenzo Balzano, Clinton Road, Ankama Editions, Paris, 2020.

(Texte : Nathalie Dassa, Paris, France / Crédit photo : Ankama Editions)