Pierre Gautheron, témoin des réalités

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Dans la prochaine édition papier de notre revue (sortie repoussée à début juin), vous pourrez découvrir Femme Auto, un magnifique essai photographique réalisé par Pierre Gautheron à Dakar, dans un garage tenu par des femmes. En marge de cette publication, nous avons posé quelques questions à ce photographe qui se donne pour mission de « témoigner des réalités ».

Roaditude – Pierre Gautheron, quel photographe êtes-vous ? Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs?

Pierre Gautheron – Je suis photographe depuis plusieurs années. J'ai commencé à pratiquer en autodidacte en même temps que mes études de journalisme. A cette époque, j'ai sillonné les pays de l'Est pour témoigner de la réalité des réfugiés arrivés en Europe. Ce travail m'a amené à documenter la vie dans la Jungle de Calais pendant plus d'une année.

Je me suis rendu compte de l'importante du temps long pour être capable de témoigner des réalités. Pendant deux années, en parallèle de mon travail pour la presse, j'ai mené un reportage sur les rites d'initiation dans les Grandes Ecoles françaises. Dans mon approche, j'assume une grande part de subjectivité, tout en essayant de comprendre plutôt que de juger.

Depuis quelques années, je me tourne vers des résidences photographiques, qui me permettent d'allier travail au long cours, indépendance économique et espace de liberté esthétique. J'ai travaillé autour de la question sur le logement social dans le Pas-de-Calais durant deux années. Tous mes travaux de résidences se veulent un partenariat avec les personnes photographiées. C'est dans ce but que je mets systématiquement en places des ateliers photographiques, afin que ma présence puisse aussi permettre une prise de parole des plus concernés.

Quelles sont vos influences en matière de photographie?

J'ai toujours été influencé par le travail de Mark Neville. En plus de témoigner de réalités sociales, il prône un engagement fort avec son sujet, en partageant toujours la vie quotidienne des personnes qu'il photographie, quitte à s'installer pendant de longs mois à Port Glagow. Pour lui, le travail d'un photographe ne doit pas se résumer à quelques tirages d'art dans une des galeries d'une grande ville. Ses photographies, la majorité du temps au flash, viennent souligner que le réel n'est pas forcément beau, mais qu'il est toujours vivant.

Alec Soth est le photographe qui m'a fait comprendre l''importance du portrait en photographie. Son travail use majoritairement de ce style. C'est une façon de créer un rapport privilégié avec ses sujets, tout en les rendant acteurs de leur image et en les laissent affirmer leur identité. De cette façon, la photographie volée n'existe pas et les images sont le résultat d'une profonde collaboration. C'est important pour moi que les photos ne soient pas volées. Le portrait est l'une des parades possibles, l’immersion en est une autre.

Dans le trajet photographique publié dans le numéro 9 de Roaditude (sortie juin 2020), nous pourrons découvrir le reportage que vous avez réalisé dans un garage de la banlieue de Dakar, au Sénégal, qui a la particularité d’être tenu par des femmes. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet?

J'ai découvert l'existence de ce garage en préparant un voyage au Sénégal. Je m'y rendais afin de couvrir les élections présidentielles mais souhaitait aussi produire un reportage au long cours là-bas.

Femme Auto a été crée en 2008. Il est tenu par Ndeye et emploie près d'une dizaine de femmes, soit la moitié des salariés, qui occupent tous les mêmes positions au sein du garage. Il y a si peu de femmes qui sortent de formation mécanique que Ndeye n'arrive pas à en embaucher plus. Malgré tout, c'est un exemple pour de nombreuses sénégalaises et cela leur prouve qu'elles peuvent finir des études et obtenir un travail. Le garage marche bien et travaille avec de nombreux clients publics. J'ai passé une semaine entière avec Rokhaya, Rama, Yandé et les autres. C'était très important pour moi de montrer que les initiatives féministes, existent, fonctionnent sont de plus en plus nombreuses au Sénégal.

Fort de l’expérience que vous avez vécue au Sénégal, quel regard portez-vous sur le mouvement « Me Too », et sur le débat que nous connaissons aujourd’hui sur la place des femmes dans la société?

Je ne pense pas qu'il soit possible de faire un parallèle entre le mouvement « Me Too » qui a secoué l'Occident et la condition des femmes dans le reste du monde. Voilà trois années que le mouvement « Me Too » et que les questions de sexisme sont au coeur du débat public.

Ce mouvement est particulièrement important pour les femmes. Elles ont pu parler du sexisme ensemble, se rendre compte qu'elles en étaient toutes victimes et que ce combat impliquait toutes les classes sociales sans exception, comme le montre la création en France du mouvement « Nous Toutes ». Malheureusement, en trois ans, peu de choses ont changé, malgré les tribunes et les plateaux télé. La nomination de Polanski aux Césars en est la preuve la plus claire. Le plus gros problème du sexisme reste l'impunité des agresseurs. En France, 2% des violences sexuelles aboutissent à une condamnation.

En tant qu'homme, il m'est difficile de témoigner, puisque je ne connais pas cette réalité. Néanmoins, je pense que nous sommes de plus en plus nombreux à se rendre compte des attitudes et des paroles déplacées de certains hommes et qu'il est important que nous prenions part à ce changement de mentalité en ne laissant plus passer de genre de comportements.

Sur un rapport plus photographique, la question du consentement qui a été largement évoquée ces derniers mois est une façon d'interroger aussi nos façons de photographier les gens et le monde qui nous entoure. 

De #metoo à #vanlife… Votre actu, c’est aussi que vous vous apprêtez à devenir nomade, c’est-à-dire à aménager une camionnette pour vivre sur la route. Expliquez-nous cette décision? (NDLR : l’interview a été réalisée juste avant le début du confinement)

Depuis plusieurs années, mes projets photographiques m'ont amené à prendre la route aux Etats-Unis, en Europe ou encore en Bretagne. Etre sur la route, cela fait pleinement partie de ma vie, autant que de ma démarche photographique : prendre le temps, rouler au pas, s'arrêter, se perdre, être mobile. Avec ce mode de vie, je mêle l'amour de la route et du voyage aux réalités pragmatiques et matérielles d'une vie de photographe documentaire.

Cette idée m'a traversé l'esprit lorsque j'ai compris que j'avais passé moins de cinq mois dans mon appartement l'année dernière. Ce loyer, c'est autant d'argent que je peux ajouter à des projets photographiques. D'autre part, j'étais de plus en plus frustré de travailler peu de temps sur un sujet, par manque de temps ou d'argent. Vivre en camion va me permettre d'auto-produire plus régulièrement mes travaux et de pouvoir rester sur place le temps nécessaire.

Quels sont les problèmes que l’on rencontre quand on décide d’être nomade à 100%? 

C'est tout un mode de vie à repenser. Depuis plusieurs années, j'ai créé mes habitudes de travail, mon réseau, mon système économique. Il va falloir que j'adapte tout ça, que je trouve un nouvel équilibre. De manière plus pragmatique, je vais maintenant vivre avec des moyens limités en termes d'électricité, d'eau, de place. Impossible de transporter tout un matériel de studio dans le coffre ! Comme l'acte photographique, vivre en camion demande de faire des choix et des compromis. Trouver où dormir, où se ravitailler, changer de zone géographique en fonction des saisons. Devoir passer du temps pour répondre aux besoins premiers a toujours été un de mes plus grands plaisirs lors de road-trips.

L'aventure du camion, c'est aussi demander de l'aide. Demander à un ami mécanicien de m'accompagner sur la vente, demander à d'autres si je peux venir passer quelques mois dans leur maison de campagne, demander des conseils à tous ceux qui peuvent m'aider. Et se rendre compte que lorsque l'on demande de l'aide, les gens y répondent.

Au niveau photographique, quels sont vos projets pour le futur?

Je vais continuer de travailler sur les mythes et les légendes en Bretagne, entamée l'année dernière avec une amie. Il s'agira d'une fiction photographique, à la croisée entre le roman, la photographe documentaire et le cahier de voyage. 

Je suis également en train de réaliser mon premier documentaire avec un membre de mon collectif (Collectif Focus). Nous suivons depuis près d'une année deux fils d'agriculteurs dans le Lot afin de comprendre leur vie quotidienne, leur projection dans ce territoire extrêmement rural.

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Pour en savoir plus, visitez le site Internet de Pierre Gautheron.

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(Interview: Laurent Pittet, Nyon, Suisse / Crédits photo: Pierre Gautheron)