Sur la route du Kisokaidō

kiko-head.jpg

Jusqu’au début du mois d’août, le Musée Cernushi (l’un des musées de la ville de Paris, dédié aux arts de l’Asie), présente trois séries de somptueuses estampes japonaises consacrées au Kisokaidō, l’une des grandes routes historiques du pays du Soleil-Levant. Une exposition à la fois fascinante et didactique, qui offre une illustration riche de la valeur culturelle de la route.

kiko-affiche.jpg

D’abord, l’artiste réalise son dessin à l’encre de Chine – c’est le shita-e, le dessin-maître. Ensuite, un graveur virtuose le reproduit sur une planche de bois. En vue d’imprimer des couleurs, ce même artisan produit d’autres planches – autant de planches qu’il y a de couleurs à reproduire. Enfin, un autre artisan imprime l’estampe, couleur par couleur, en induisant successivement les planches, en y apposant la feuille de papier avant de la frotter vigoureusement… Ce n’est pas le moindre intérêt de l’exposition Voyage sur la route du Kisokaidō que de nous présenter un petit film qui expose les différentes étapes de la reproduction par xylographie, celle-là même qui a été utilisée par les Japonais, du XIIIe au XIXe siècle, pour produire leurs fameuses estampes.

540 kilomètres

Le Kisokaidō, qui était une des cinq voies du réseau routier créé durant l’époque Tokugawa (1603-1868), est peut-être la route la plus spectaculaire de l’histoire du Japon. Créée avant tout à des fins commerciales, elle reliait, sur une distance d’environ 540 kilomètres, Edo (actuelle Tōkyō), où le shogun avait sa résidence, à Kyōto, siège de l’empereur. Contrairement à la route du Tōkaidō, qui rejoignait l’ancienne capitale en cinquante-trois relais le long de la côte, le Kisokaidō, jalonné de soixante-neuf étapes, traversait les montagnes de l’intérieur du pays. Il suivait un itinéraire plus long, parfois plus pittoresque et ardu en raison de la présence de neuf cols escarpés. Il était utilisé par des pèlerins, des marchands, des moines et quelques touristes, qui faisaient le parcours à pied, et mettaient près de deux semaines à le faire d’un bout à l’autre.

Le contenu de cet article vous est offert.

Pensez à soutenir notre projet en faisant un don ou en commandant notre revue dans notre boutique en ligne.

Faire un don

Bien sûr, le clou de l’exposition, ce sont les estampes elles-mêmes, présentées dans une succession de salles tamisées qui invitent à la contemplation. Elles représentent des scènes de vie ou des portraits en lien avec les différentes étapes de la fameuse route. Deux séries complètes sont présentées dans l'exposition. La première signée, par Eisen et Hiroshige, deux figures incontournables de l’art japonais du XIXe, est considérée comme l'une des plus belles au monde pour la qualité du tirage et la fraîcheur des couleurs. La seconde série, réalisée par Kuniyoshi au XIXe siècle également, est dévoilée au public pour la première fois. Une troisième série, celle de Kunisada, n’ayant pu être déplacée en raison de la crise sanitaire, est évoquée par le biais d’une animation digitale. Etonnantes par leur graphisme (il faut voir comment Hiroshige représente la pluie) et la force de leur coloration, toutes ses estampes foisonnent de détails et racontent une époque avec une intensité rare. Cette intensité, l’exposition la traduit à merveille.

koki-01.jpg

Valeur culturelle

Outre l’aspect artistique, Voyage sur la route du Kisokaidō apporte une illustration riche de la valeur culturelle de route, renforcée à travers le temps par une dimension historique. Les estampes d’Eisen et Hiroshige sont des travaux de commande, initiés par un éditeur de l’époque enthousiasmé par l’immense succès rencontré par une autre série consacrée aux stations du Tōkaidō. Cet enthousiasme, il faut en prendre la mesure.

La route du Kisokaidō, comme le montre d’ailleurs l’exposition via une animation multimédia, peut être empruntée aujourd’hui encore, et poursuit sa fascination, notamment auprès d’écrivains. Ainsi, dans un fascicule publié pour l’occasion de l’exposition par les éditions Beaux Arts & Cie, on peut lire le témoignage de l’américain japanophile William Scott Wilson, qui a parcouru la route à pied, et qui s’est réjoui d’y avoir rencontré « des journalistes, des écrivains, des peintres et des professeurs à la retraite ».

Relais 16, par Hiroshige

Relais 16, par Hiroshige

Relais 29, par Hiroshige

Relais 29, par Hiroshige

Relais 46, par Hiroshige

Relais 46, par Hiroshige


Voyage sur la route du Kisokaidō, exposition à voir jusqu’au 8 août au Musée Cernuschi, avenue Velasquez 7, 75008 Paris. Toutes les informations pratiques sur l’exposition sont disponibles sur le site internet du musée à l’adresse www.cernuschi.paris.fr.

D’Edo à Kyoto : sur la route du Kisokaidō, publication collective, Beaux Arts & Cie, Paris, 2020.

(Texte : Laurent Pittet, Nyon, Suisse, envoyé spécial à Paris / Crédits photo : Fundacja Jerzego Leskowicza pour les reproductions d’estampes, Raphaël Fournier pour la photographie de l’exposition)