Le Périph’ au tournant ?

Serpent de bitume qui s’enroule autour de Paris pour en avaler une partie du trafic, le Boulevard périphérique est simultanément une frontière formelle entre la ville et sa banlieue, un symbole, un monument, une pomme de discorde. Au éditions Archicity, l’ambitieux ouvrage collectif Le Boulevard périphérique : quel avenir ? replace cette infrastructure grand parisienne face aux enjeux qu’elle représente.

Le Boulevard périphérique, le Périph’, a été inauguré le 25 avril 1973, mais son premier acte remonte à 1954 lorsque le Conseil de Paris lance la construction du tronçon sud, reliant les portes d’Italie et de Châtillon. Il représente aujourd’hui 35 à 40% du flux motorisé parisien. Au même titre que la Tour Eiffel, les Champs-Élysées ou le Musée du Louvre, il est devenu une des figures monumentales et emblématiques de la capitale française ; un lieu hautement symbolique, à la portée culturelle, environnementale et sociale. Un enfer anthracite aussi, mû par une circulation en accordéon, bordé d’architectures à la passion triste. Politiquement, il est un des enjeux majeurs du Grand Paris et des questions générales de mobilité. Les débats qui l’entourent depuis sa création n’ont fondamentalement pas remis en question sa nécessité ; plutôt acté le besoin d’une évolution dans un contexte qui a changé en plus de 50 ans.  

Seize architectes, urbanistes, géographes, historiens, ingénieurs ou paysagistes peuplent l’ouvrage collectif Le Boulevard périphérique : Quel avenir ? publié aux éditions Archicity, qui recueille leurs réflexions sur les tensions, les projections, les perceptions qui s’agglomèrent autour du Périph’. Et surtout les possibles voies d’aménagement, de transformation, de mutations. C’est un vent frais d’analyse, de réflexion, de réhabilitation aussi parfois, de reconnaissance surtout, de toute la complexité d’une zone de gris qui déborde allègrement sa fonction autoroutière.

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Un héritage encombrant

Le temps d’une « Brève histoire des urbanismes de la ceinture parisienne » l’urbaniste Emmanuel Briolet (Institut de géographie de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) propose une solide histoire du Périphérique tout en ouvrant les pistes de débats et de réflexion. Dans la perspective du Grand Paris, l’absorption et transformation potentielles du périph’ en un boulevard urbain ne passe pas inaperçu dans la liste des points de tension. Avec la question de ses nuisances, de sa couverture éventuelle, de sa place dans les défis de mobilité dans un contexte d’urgence climatique et sanitaire, celle de sa suppression ou de son maintien paraît toujours dans la balance. 

« Le périph’ est aujourd’hui une incongruité », constate Paul Lecroart, urbaniste à l’Institut Paris Région préside le réseau d’experts ‘From Roads to Streets’ de l’association de métropoles METREX. Il en parle comme d’un « héritage encombrant », au même titre que le réseau routier de la région, d’une époque d’expansion décomplexée, un « aspirateur de trafic », une « autoroute de centre-ville, qui sert à la fois de rocade régionale et de cabotage local ». Non loin des enjeux urbains, économiques, sociaux et surtout écologiques de notre époque, il doit s’inscrire, d’après lui, dans un nouveau modèle de développement « plus juste, plus durable et plus résilient. » 

Des usages du Boulevard périphérique

« Pourquoi le Périphérique ? » cette « apothéose pour les infrastructures automobiles » s’enquiert alors Mathieu Flonneau, historien, spécialiste des mobilités, enseignant et maître de conférences à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne. Et pourquoi sa réorganisation, chantier biblique s’il en est, doit-elle s’imposer ? La réponse semble évidente : « parce que Paris, ville monde et ville ouverte, en a besoin. » Approchons dès lors la question des usages avec que Arnaud Passalacqua, ingénieur et historien, questionne avec habileté : que se passe-t-il sur le périphérique, véritable icône de Paris (il en est une caractéristique unique dans un pays de rocades) et de son emprise automobile. Il est un lieu où se jauge, s’éprouve la conduite des Parisiens, et se forge leur image auprès des usagers plus occasionnels des voies de la capitale. Un lieu exclusivement voué aux conduites motorisées qui, loin de figurer exclusivement une enceinte, dément plutôt l’idée d’une ville refermée sur elle-même : en termes d’images et d’usages, le périph est une ouverture sur l’extérieur et, réciproquement sur l’intérieur de Paris.

Et c’est, pour François Leclercq, architecte et urbaniste, précisément là la question centrale : « le problème n’est pas le Boulevard périphérique mais son usage ». Pour lui, que cet élément du patrimoine grand parisien soit identifié à une frontière relève davantage du domaine de la perception. Cette frontière entre Paris et banlieue existe surtout dans les représentations érigées de l’une et de l’autre, les villes de la périphérie étant avantageusement reliées à la capitale et entre elles, justement, par le périph’. D’où cette idée d’un « héritage encombrant, mais généreux ». A ce stade de la lecture l’impression est d’avancer par à-coups, ce qui ne va pas sans un certaine sensation d’ironie ou d'à propos, selon.  

Incontournables, le Périph’ ?

Nicolas Beyret, Jean-Rémy Dostes, Paul Jaquet, de l’agence d’architecture et d’urbanisme parisienne Hame, encourage à en faire une pierre angulaire, un pole des changements nés des urgences contemporaines (climatiques, sanitaires, sociétales). Incontournable, le périph’ ? Sa transformation ne se pose pas sans problématique, d’après Anne Durand, spécialiste de la mutabilité urbaine. La première est là aussi, celle de l’urgence, face à une bétonisation qui ne semble pas vouloir décroitre et fixe même dans leurs caractéristiques les deux ensembles qui évoluent de part et d’autre de la couronne : à l’intérieur, une densification, et à l’extérieur, une détérioration. Au milieu, une saturation persistante des flux sur un anneau de bitume qui conserve sa fonction frontalière. Une réflexion profonde est nécessaire, hors-cadre habituel, pour envisager les mutations d’un tel ensemble profondément ancré dans les usages, les représentations et les investissements d’espace mais aussi les partager.  

Les propositions s’enchainent pour offrir un portrait mosaïque de ce qui pourrait être fait de cet héritage multiple, fonctionnel mais encombrant des années d’expansion pour en prolonger la modernité dans l’ère des défis liés à la mobilité, à l’environnement, à une vie urbaine en nécessaire mutations.Pas question de le jeter le périph avec l’eau du bain urbanistique des années 1960 à 1980. Les questions liées à ces flux, à l’espace, aux synergies entre ville-centre et périphérie sont cruciales. Avec cette somme de réflexions et de réponses inspirantes, stimulantes et confrontantes tout à la fois, la voie est ouverte.


Le Boulevard périphérique : Quel avenir ?, ouvrage collectif, Archicity, Paris, 2021.

Pour aller plus loin, découvrir le dossier “Passé et avenir du Boulevard périphérique” proposé par le site Autour de Paris.

(ITexte : Nicolas Bogaerts, Clarens, Suisse / Crédits : Adobestock, Archicity)