"Coupez !" - En route pour la vérité
L’Écossais Chris Brookmyre, figure de proue du roman noir, revient avec une intrigue tendue au cordeau où s’entremêlent le cinéma d’horreur, le film maudit, le polar, le pouvoir, l’humour acerbe et le road movie entre Glasgow, Paris, l’Italie et Pompéi, avec un duo intergénérationnel assoiffé de vérité et de rédemption.
« Le grand danger quand on cherche des réponses, c'est qu'on risque de les trouver. » Et c’est encore peu dire à la lecture du nouveau thriller passionnant de l’Écossais Chris Brookmyre, auteur phare de romans noirs après une première carrière de journaliste. Avec Coupez ! (The Cut), il nous embarque dans un mélange de genres efficace pour une plongée sur plus de cinq cents pages dans l’industrie du cinéma d’horreur de série B. Une intrigue entre passé et présent qui nous fait traverser l’Europe avec un duo de personnages aussi atypique qu’attachant pour résoudre un crime commis dans les années 1990.
Lueur d’espoir
Millicent (Millie Spark) vient de purger vingt-quatre ans de prison pour le meurtre de son amant Markus, retrouvé mort dans son lit à son réveil et dont elle n’a aucun souvenir. Elle a désormais 72 ans, vit en colocation avec deux septuagénaires et tente de se réadapter à un monde qu’elle ne connaît plus. Avant son incarcération, elle était spécialiste des maquillages et des effets spéciaux dans les films d'horreur et d’exploitation à petit budget. Une époque où les tribunaux et les tabloïds conservateurs avaient vite fait de vilipender ce pan du septième art et de condamner celle qui vivait des nasties movies. Aujourd’hui libre, elle continue de proclamer son innocence mais n’a plus le goût de vivre, se confrontant à son existence brisée.
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L’arrivée du jeune Jerry (Jérôme) dans cette colocation va changer la donne. Passionné de films gore et de black metal, élevé par sa grand-mère qui tenait un vidéoclub et dont il peine à se remettre de sa mort, il étudie le cinéma l’université de Glasgow. Ce métis fauché tente de trouver sa place, mais est tout aussi piégé dans les stéréotypes de la société et rongé par la culpabilité d'une erreur de jeunesse. Cette passion du septième art et ce regard désabusé sur le monde forcément les rapprochent. Tout s’accélère à la découverte d’une vieille photo de Markus qui redonne à Millicent l’envie de rechercher la vérité autour du tournage de Mancipium, film gore mythique et maudit jamais projeté, sur lequel elle travaillait.
Rythme effréné en Europe
Brookmyre signe un hommage sublime au cinéma d’horreur, au giallo, à la VHS, au vidéoclub, à la mythologie des films maudits et leur fascination à travers les temps, et au métier de maquilleur et des effets spéciaux créés sur le plateau avant la mitraille des effets numériques. Formellement, l’auteur a plusieurs cordes à son arc pour donner de l’entrain à ce thriller visuel palpable et à la plume ciselée, drôle et émouvante. S’il prend le temps - peut-être un peu trop - de présenter ses personnages et de planter le décor, le récit finit par trouver son rythme vif jusqu’à devenir haletant. C’est l’aspect road movie qui insuffle cette énergie à l’intrigue, nous emmenant de Glasgow à Paris en avion, de Paris à l’Italie en Jaguar cabriolet de location, jusqu’à Pompéi, avant de revenir dans la ville portuaire d’Écosse.
Les chapitres courts, alimentés de quelques cliffhangers, renforcent cette montée en puissance dans un montage qui enchaîne et alterne les points de vue et les époques. Ces flashbacks, au-delà de retracer l’histoire passée, montrent surtout les évolutions du monde : de l’absence d’Internet dans les années 1990 à l’avènement de numérique où tout est à portée de clics sur les smartphones. Brookmyre nous convie à une véritable réflexion sur les changements de société et à une passionnante critique sociale où défilent agents infiltrés, artistes de la scène métal, starlettes, producteurs et financiers douteux, mafieux, magnat des médias et politicien. Cocktail parfait pour empêcher de déterrer les vieilles histoires gênantes.
Vérité en deux temps
Mais c’est sans compter sur ce duo d’« enquêteurs » magnifique, digne représentant intergénérationnel, pour démêler le vrai du faux. Leurs échanges sont un jeu de ping-pong permanent et un régal de références cinématographiques. L’auteur réaffirme ici avec panache que non « la vieillesse n’est pas un naufrage » et oui « la jeunesse veut connaître son passé ». Il s’amuse en outre à évider toute l’hypocrisie de la bienséance et la mascarade médiatique sur les clichés du cinéma d’horreur. Après la révélation finale, à la hauteur du suspense, il élargit encore le récit sous deux formes : celle qui aurait été perçue dans les années 90 et celle d’aujourd’hui qui rend justice un quart de siècle plus tard.
Un roman très contemporain qui parle des boucs émissaires, des imposteurs et du syndrome, de la difficulté de réinsertion dans la vie moderne pour une ex-taularde, de l’absence délibérée de codes à une jeunesse en proie aux stéréotypes. Et l’histoire humaine qui se dégage de ce long voyage vers la vérité parvient savamment à déjouer les pièges dans des rebondissements à l’humour sarcastique et grinçant à souhait.
Coupez ! (The Cut), Chris Brookmyre, Éditions Métailié, Traduction David Fauquemberg, Paris, 2022.
(Texte : Nathalie Dassa, Paris, France/ Crédits photo : éditions Métailié)