« Je ne photographie que ce que la route me propose »

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Christophe Spiesser aime les petites routes, les paysages grandioses des causses et les vieux bistrots. Coup de cœur de la rédaction, son travail photographique sur les Anciens Cafés nous offre l’occasion d’une réflexion en compagnie de son auteur sur les changements de la société française, la mondialisation et la beauté des ruines.

Roaditude – Christophe Spiesser, parlez-nous donc un peu de vous, de votre parcours et de vos influences ?
Christophe Spiesser – C’est la route qui m’inspire avant tout. J’essaie d’organiser ma vie afin de pouvoir voyager le plus possible. En ce moment, les routes françaises occupent une bonne partie de mon temps. Je me suis mis à la photo un peu par hasard. Il y a une dizaine d’années – lors d’un voyage avec un ami – puis un peu plus tard pour illustrer des reportages de presse. En 2012, j’ai suivi une formation en cours du soir pour acquérir quelques bases techniques et, depuis deux ans, je suis en disponibilité pour conjuguer voyages et images. Les séries objectives et les reportages m’inspirent beaucoup, mon premier kiff photographique c’est « En Afrique » de Raymond Depardon. Mais j’essaie de m’intéresser à toutes les sensibilités, des images animalières aux travaux ultra-conceptuels.

Vous avez roulé dans toute la France au hasard pour dénicher les sujets de votre série, les Anciens Cafés ?
La série sur les cafés a démarré à peu près en même temps que mes envies de voyages en France. J’ai commencé par photographier d’anciennes publicités type Dubonnet ou Suze, mais esthétiquement le sujet ne me convenait pas trop. Par contre, il m’a ouvert les yeux sur les façades d’anciens bars et cafés, sûrement parce que ce sont des endroits que j’aime fréquenter ! La découverte d’un nouveau bistrot est toujours le fruit du hasard, sans recherche particulière. En fait, je ne photographie que ce que la route me propose. Par contre mes habitudes de circulation me permettent de fréquenter des axes propices (routes de montagnes, nationales, zones peu peuplées en tous genres, etc…) sans réelle contrainte de temps.

Sur quels critères vous basez-vous pour choisir ces cafés : leur beauté pittoresque, leur éloignement des grands axes routiers, leur architecture surannée ?
Pour commencer le lieu doit être définitivement fermé, ça parait stupide, mais il m’arrive d’avoir de sérieux doutes. Et sinon, le point crucial réside dans l’originalité de la typographie. J’essaie d’éviter les enseignes en plastique qui font partie du package publicitaire offert par les grandes brasseries. Le top, c’est une belle calligraphie tracée sur un bâtiment non-mitoyen avec une architecture hors du commun. Pour beaucoup de troquets, je ne n’ai pu cadrer que la façade car les constructions sont accolées. Ceux-là dorment encore sur mon disque-dur…

Vous photographiez des mondes plus ou moins appelés à disparaître – celui  des artisans, des vieux cafés ou, notamment, de la banquise -, ça vous rend nostalgique ?
J’essaie d’être positif. Je ne pense pas que l’artisanat ou les cafés – dans le sens où on les connaît aujourd’hui – soient amenés à disparaître. Ils perdureront, moins nombreux et en parallèle des gros modèles économiques. Je crois qu’une clientèle différente, plus en phase avec son environnement, est en train de prendre conscience de tout cela. Pas sûr que cela soit suffisant pour sauver la banquise, mais c’est là un sujet bien plus délicat ! En tous cas, j’aime autant photographier la glace pour ses habits de lumière que pour essayer de faire comprendre qu’elle fond trop vite.

Cette série des Anciens Cafés, c’est aussi le constat de l’extinction de beaucoup d’entreprises dites « familiales » au profit des grandes enseignes internationales et « anonymes »?
Tout à fait ! Et la courbe va plutôt vers le latte uniforme servi dans un gobelet plastique, que vers le grand crème qui est pensé avec beaucoup de lait, chaud ou froid, mélangé ou servi à part.  Récemment la revue CQFD a publié un dossier sur le sujet. On peut y lire qu’entre 1975 et 2014, le nombre de débits de boissons français est passé de 191’000 à 34’669 ! Outre la bataille économique du pot de terre contre le pot de fer, cette chute vertigineuse est révélatrice de bien des évolutions de la société, et pas forcément négatives. Avant, on allait au café tous les jours, et on y restait car le chauffage central n’existait pas ! Puis la télé est arrivée, maintenant le net, les machines à capsules, nos habitudes nous conduisent involontairement loin des lieux d’échange. Dans les grandes villes, la concentration de population dissimule la réalité, car un certain nombre de bistrots trouvent encore leur clientèle. Mais à la campagne, la situation est plus délicate et la perte sociale induite par la fermeture d’un bistrot est souvent conséquente.

Quelle est votre route préférée, celle qui symbolise plus que toute autre votre travail ?
La D921 qui relie Espalion et St-Flour, j’ai un faible pour les grands espaces du Massif Central. La lumière y est souvent dramatique, les paysages sans limites entre la rudesse des causses de l’Aubrac et les gorges de la Truyère. Et on est bien servi en bistrots, et des vivants, ouverts et qui abreuvent voyageurs et habitués ! Les villages sont toujours dynamiques grâce à cette route et les cafés encore nombreux. Le bar-tabac Toutet, place de la patte d’Oie à Laguiole, est un must pour apprécier une ambiance typique des comptoirs français. Pour revenir à la thématique « Vieux cafés », on remonte vers le Cantal. A Chaudes-Aigues, il y a une devanture somptueuse, le café Costeroste. C’est la première fois que je montre cette image car le bâtiment est mitoyen – à la différence des autres images de la série.

Pourriez-vous évoquer pour nous votre travail en cours, L’Hexactitude du geste, et vos éventuels projets à venir ?
L’Hexactitude du geste est un projet entre photographie et sociologie, orienté vers les terroirs français, leurs savoir-faire et les gestes qui y sont associés. Pour chaque département, je rencontre un artisan emblématique de son territoire. Ça implique pas mal de temps sur la route, mais c’était le but ! Depuis deux ans, j’ai allègrement dépassé les 70’000 kilomètres entre la voiture, le train, le vélo ou le stop. En tous cas, c’est un bon prétexte pour tenter de connaître le pays dans son intégralité et dénicher des cafés un peu partout ! Sur le terrain, l’Hexactitude est presque terminé. Pour valoriser le projet, je démarre l’auto-édition d’un livre, et je vais proposer une expo itinérante et des projections commentées. Pour rester dans la thématique, le top serait de faire vivre ce projet en campagne, et d’investir d’anciennes boutiques le temps de quelques semaines. Les Anciens Cafés seront exposés au Cactus, à Toulouse, en mars 2017. Et après… Chez qui a envie de les montrer !

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Pour en savoir plus, visitez le site Internet de Christophe Spiesser :  www.christophespiesser.com.

(Interview : Nicolas Metzler / Crédits photo : Christophe Spiesser)