Sur la 66 avec Dominique Chapatte

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Loin d’être un livre de plus sur la mythique 66, le carnet de voyages de Dominique Chapatte propose un road trip viscéral, un pèlerinage passionné le long de la « Mother Road ». Le livre est inscrit sous le signe de la passion. Une passion que Dominique Chapatte, présentateur depuis sa création de l’émission Turbo sur M6, nourrit depuis longtemps pour cette main street courant sur près de 4000 kilomètres, reliant l’Est à l’Ouest, Chicago dans l’Illinois à Los Angeles en Californie, traversant huit états, trois fuseaux horaires.

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D’emblée, la tonalité du livre, celle d’un voyage à la fois dans l’espace et dans le temps, nous est donnée au travers des magnifiques photos de Cyril de Plater et des textes de Bertrand Viet. Cimetières de voitures, de Ford Mustang à Edwardsville, bikers sortis d’Easy rider, magnificence de paysages variés, entre empreinte de l’homme et nature « sauvage », enseignes des motels, fast-food, stations services, garages que fréquentèrent Al Capone et autres rois de la pègre, étendue de champs, villages fantômes… La Route 66 oscille entre vestiges du passé et sursaut patrimonial, restauration de motels. En sus d’être géographique, la traversée de huit états est historique, donnant à voir des strates de l’Histoire du XXème siècle. En service entre les années 1920 et les années 1980, la route 66 fut déclassée en 1985 au profit d’autres artères. L’album capte la nostalgie d’une Amérique défunte mais aussi le kitsch d’un tourisme dénaturant l’authenticité des lieux au profit d’un décor de carton-pâte.

Dans une odyssée
Dominique Chapatte nous embarque dans une odyssée où passé et présent se télescopent. Les haltes, les scansions (presque au sens musical) du voyage délivrent une Histoire autre des États-Unis. Derrière des lieux devenus iconiques, figés dans la légende, l’on retrouve des tranches de vécu, le rêve américain, le cauchemar de la crise de 1929… Immortalisée par Steinbeck dans Les Raisins de la colère, la route 66 porte en elle la mémoire de l’exode des fermiers, des populations lors du krach boursier et de la sécheresse frappant le Dust Bowl. Traversant les clichés qui, recouvrant la route 66, font écran à sa perception, l’ouvrage porte au jour des visages oubliés, minoritaires, dissimulés de la Mother Road. Il nous donne une Amérique à x vitesses, à x visages, comme si l’œil du photographe relevait à la fois du rétroviseur et du « post-viseur », de ce qui voit l’avant et de ce qui capte l’après. Aux côtés d’une Amérique symbole de vitesse, de conquête, l’on découvre une existence presque immobile dans des villages où la vie semble s’être arrêtée quand la route (métaphore du sang qui pulse l’organisme) a cessé de les irriguer.

Le déclassement de la route 66 en 1985 au profit d’autoroutes a figé les hameaux qui la bordaient. La volonté de donner un revival à ces diners abandonnés délivre une atmosphère de folklore Disneyland, de vie artificielle tournée vers l’embaumement d’un passé mort. Figurines géantes, ponts métalliques, ponts dits arc-en-ciel, Illinois, Missouri, Kansas, Oklahoma, point médian de la route à Adrian au Texas, avancée vers le Sud et le soleil, entrée dans le Nouveau-Mexique, les déserts de l’Arizona, la Californie, le célèbre Bagdad café et le terminus de la route à Santa Monica… Les états physiques, mentaux, esthétiques de la route 66 évoluent au fil des changements de paysages, de climats, de lumières de mentalités, se modifient lorsqu’elle traverse des villes. Plus qu’un emblème du voyage, elle est une matrice où lire les mutations des USA, leur diversité, leurs différents mondes aux logiques contrastées.

Rythme musical
Le rythme du livre est musical, il change d’État en État, passe du rock, du country au blues, au rhythm and blues, au jazzy, au latino. Il traverse non seulement l’élément terre, mais l’élément eau, le fleuve Mississipi ou encore l’élément aérien au travers des vues du ciel. Personnage principal du livre, la route 66 révèle le pouls géographique, historique, socio-économique de l’Amérique, entre réalité tangible et envol de l’imaginaire, entre concrétude des lieux et projections oniriques. « If you ever plan to motor west / Travel my way, take the highway that’s the best / Get your kicks on Route 66 /Well it winds from Chicago to L.A / More than 2000 miles all the way /Get your kicks on Route 66 » écrivait Bobby Troup dans son célébrissime Route 66 qu’interprétèrent Nat King Cole, Chuck Berry, les Rolling Stones, Them, Ray Charles, Depeche Mode, The Cramps et bien d’autres.


Sur la route 66 avec Dominique Chapatte, textes de Bertrand Viet, photographies de Cyril de Plater, éditions M6, 2017.

(Texte : Véronique Bergen, Bruxelles, Belgique / Crédits photo : M6/Cyril de Plater)