Révélation casse-croûte

Nicolas Paquet est un « cinéaste rural », comme il aime à se définir. Dans Esprit de cantine, qui sort ce printemps, il poursuit son exploration-révélation en s’intéressant aux « casse-croûtes », ces petites haltes que l’on rencontre au bord de la route au Québec, indigentes en apparence, mais dont on découvre qu’elles sont de magnifiques lieux de vie, comptant énormément dans la vie des gens, qu’ils soient locaux ou voyageurs. Rencontre.

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Roaditude – Nicolas Paquet, quel cinéaste êtes-vous ? Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?
Documentariste depuis maintenant 15 ans, j’aime bien le terme « cinéaste rural ». Tous les films que j’ai produits ou réalisés dévoilent certaines réalités de la vie sur des territoires où les animaux, d’élevage ou sauvages, sont plus nombreux que les êtres humains. Que ce soit le récit de la destruction d’un quartier complet par une compagnie minière en plein coeur d’une petite ville de Nord (La règle d’or), ou encore la douce et menacée relation du Peuple Déné avec son territoire (Ceux comme la terre), les documentaires que je réalise sont ancrés dans un espace précis, souvent petit, comme c’est le cas avec les casse-croûtes dans Esprit de cantine.

Esprit de cantine, votre documentaire, sort ce printemps sur les écrans. Il s’intéresse à ces « casse-croûtes » que l’on voit encore aujourd’hui quand on prend la route au Québec… Quelle a été l’inspiration de votre film ?
Une rencontre d’abord, celle avec les casse-croûtes Poivre et Sel de Malartic, alors que nous tournions le film La règle d’or, en Abitibi. L’endroit m’a charmé, son ambiance touchante, ses habitués, sa propriétaire. Il a été la proie des flammes quelque temps après.

Les cantines sont ancrées dans le paysage du Québec rural depuis plus de 50 ans. Elles expriment une part de notre identité, et sont la source d’un rituel saisonnier comme nous n’en avons plus beaucoup. L’été, des milliers de québécois font un arrêt tant attendu à « leur » casse-croute lorsqu’ils prennent la route vers le chalet, le camp de chasse ou tout simplement la route des vacances. Pour les ruraux, les passages sont plus fréquents, voir quotidiens. Les casse-croutes ponctuent le chemin et sont pour le voyageur autant de havres de découverte d’une réalité rurale peu médiatisée. Pour les « locaux », elles sont un lieu de rencontres, où l’on prend des nouvelles, mais aussi la réconfortante frite ou la traditionnelle poutine.

Enfin, à l’ère des grandes chaînes de restauration rapide qui s’incrustent partout, ces petits commerces indépendants sont de véritables lieux de résistance. Quand on entre dans une cantine, on est presque certain de croiser la propriétaire, et de pouvoir lui piquer une jasette en attendant sa commande. Il y a là une convivialité qui se fait rares à notre époque.

A propos de ces cantines, vous parlez de « lieux cinématographiques »… Pouvez-vous nous expliquer cela ?
Chaque cantine revêt sa personnalité. Certaines sont ostentatoires par leur couleurs et leur décoration, d’autre pêchent par la simplicité de leur charpente. À l’intérieur, autant des éléments simples comme la manière d’afficher les prix que le va-et-vient derrière le comptoir créé une richesse visuelle très appréciée quand on construit un film. Je cherchais entre autre une cantine avec un long comptoir qui offre une perspective pour capter les échanges entre les clients et les employés.

Les casse-croûtes portent souvent les marques de leur histoire ; rouille, rallonges raboutées, enseigne mise-à-jour à gros coups de pinceaux, etc. Scruter leur surface, c’est comme plonger dans le passé, revoir la trace du temps. On imagine comment elles ont traversé la société québécoise  de génération en génération.

Dans les cantines, au Québec, le plat roi, c’est la « poutine ». Pouvez-vous décrire cette spécialité gastronomique pour nos lecteurs, qui ne connaissent pas tous les réjouissances de la Belle Province ?
C’est plutôt simple, et compliqué à la fois quand on y a pas goûté : frites maisons faites de vraies pommes de terre, fromage en grains et sauce brune. Toutes les variantes sont possibles, mais la classique ne compte que trois ingrédients. Quant à savoir où l’on trouve les meilleures poutines, les avis sont partagés. C’est un plat qui calme l’appétit, à midi comme à trois heures du matin quand les gens sortent de soirées bien arrosées.

Le Québec a un long historique de résistance identitaire et, à vous suivre, le casse-croûte y participe, a fortiori à notre époque qui voit défiler les grandes franchises commerciales. Cette dimension identitaire est-elle le principal message de votre film ?
Le film présente le portrait de femmes fortes qui tiennent debout des commerces uniques, commerces qui jouent un rôle social évident, même si ce n’est pas ce que l’on voit d’abord quand on les fréquente. En cela, elles sont à mes yeux des résistantes. Elles osent offrir une forme de simplicité qui plait aux habitués, et surtout un espace de vie où le client est plus que quelqu’un avec une carte de crédit. Je pense que nous pouvons nous reconnaître dans cette authenticité. Bien qu’elles ne soient pas figées dans le temps, qu’elles évoluent avec les habitudes de leurs clients, les cantines demeurent un contre-discours à la pensée économique du développement et de la rentabilité à tout prix.

Un coup de cœur à partager avec nous ? Y a-t-il l’une de ces échoppes qui vous a particulièrement touché, et qui vaut le détour ?
C’est bien difficile d’en choisir une seule. Le meilleur conseil, c’est de garder l’œil ouvert sur la route. Vous risquez de découvrir une petite perle là où vous ne vous y attendiez pas. Il ne faut pas hésiter à quitter les circuits touristiques. Dans les terres à quelques kilomètres du fleuve, dans le Bas-Saint-Laurent, notamment autour de Rivière-du-Loup, j’ai filmé trois casse-croûtes formidables. Une des propriétaires, à la cantine Chez Dino, m’a expliqué que « quand on est malheureux, si l’on mange une poutine, le malheur s’en va ». Ça c’est être convaincu des vertus des cantines !


Nicolas Paquet, Esprit de cantine, produit par Karina Soucy et Nicolas Paquet, 2017.
Pour connaître les dates et lieux de projection, rendez-vous sur la page Facebook du film.

(Interview : Laurent Pittet, Nyon, Suisse / Crédits photo : Karina Soucy et Nicolas Paquet)