"The Peanut Butter Falcon", sur les chemins de traverse

peanut-head-2-opt.jpg

Grand absent des vainqueurs de la cérémonie des Oscars 2020, ce road movie « aquatique » et indépendant est né de la très fructueuse rencontre entre les scénaristes/réalisateurs Tyler Nilson et Michael Schwartz, et l’acteur trisomique Zack Gottsagen. Balade touchante, intelligente et souvent drôlissime, The Peanut Butter Falcon (en français, Le Faucon au beurre d’arachide…) possède toutes les qualités du feelgood movie, et cette apologie de la fraternité et de la liberté tombe à pic en ces temps troublés de pandémie anxiogène et isolatrice. Un film en état de grâce qui fait singulièrement écho aux parcours personnels de deux acteurs principaux, dont l’alchimie à l’écran est manifeste.

peanut-opt.jpg

Zak (interprété par le fantastique Zack Gottsagen, sorte de bouddha boudiné au charme irrésistible) est un jeune homme trisomique à la volonté de fer, fan de catch et doté d’une force herculéenne. Victime de l’incurie étatique, cet orphelin est placé en dépit de tout bon sens en maison de retraite, où il s’ennuie ferme. Son rêve ? Devenir catcheur professionnel après avoir intégré l’école de lutte de son idole, un crevard cauteleux répondant au doux surnom de Saltwater Redneck (grosso modo, « le bouseux de la mangrove »). Très vite, Zak prend la poudre d’escampette, avec pour toute possession… le slip qu’il porte.

Odyssée

Dans son errance, il rencontre Tyler (fabuleux Shia LaBeouf), un pêcheur miséreux devenu voleur de casiers de crabes pour survivre. Ce dernier, après avoir mis le feu aux docks dans un moment de rage suite à une dérouillée en règle par les victimes de ses vols, prend la fuite avec Zak, poursuivi par les pêcheurs bien décidés, cette fois-ci, à lui faire la peau.

Très vite, Tyler se prend d’affection pour Zak, ce d’autant plus qu’il porte la culpabilité de lourdes fautes, et voit sans doute dans le fait de prendre soin du jeune trisomique un moyen de se racheter : responsable de la mort de son frère idolâtré, Tyler est un homme qui fuit les représailles autant que la prise de conscience des actes qu’il a commis.  Commence alors pour les deux fugitifs une odyssée en radeau sur les Outer Banks de Caroline du Nord, odyssée qui évoque bien sûr le chef d’œuvre de Mark Twain, Les Aventures de Huckleberry Finn – d’ailleurs le film tout entier est un hommage appuyé au livre de Samuel Clemens (le nom véritable de Twain) : il y a notamment comme dans Huckleberry Finn un duo improbable que tout sépare, un voyage en radeau, le refus des normes sociales, l’esprit d’aventure ou la confrontation avec la brutalité du monde « adulte ». En chemin, ils sont rattrapés par l’assistante sociale de Zak (incarnée par la belle Dakota Johnson) qui, tiraillée entre son devoir de ramener Zak et le désir de contribuer à son épanouissement, finira par larguer les amarres avec les deux compères.

Déclaration d’amour à la nature sauvage et édenique de la Caroline du Nord, et en particulier des Outer Banks, ce chapelet d’îles qui longe la côte Atlantique de l’état, ce road movie prend très vite les chemins de traverse: la route 158 que voulait emprunter Tyler pour fuir ses poursuivants est présentée comme le lieu de tous les dangers, un lieu de mort, de souvenirs traumatiques et d’angoisse, parcouru en tous sens par les pêcheurs revanchards qui veulent assassiner Tyler. La côte et la mangrove sont, elles, présentées comme des mères nourricières, protectrices, voire bienveillantes et, paradoxalement, nettement moins hostiles que la civilisation qui semble, elle, ne promettre que les abîmes de la pauvreté, de la tromperie, de la violence ou de l’incertitude. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que la photographie de Nigel Bluck rend justice à la majesté des paysages, les nimbant d’une aura magique qui rappelle le sublime Dersou Ouzala de Kurosawa (1975).

La Voie rédemptrice

 Evitant le manichéisme (Tyler est un bon gars mais c’est aussi un voleur et criminel, les pêcheurs lancés à sa poursuite ne sont pas foncièrement mauvais, mais ils sont excédés par leur vie de misère et les sales coups du jeune homme, l’idole de Zak est un roublard dénué de scrupules), le film fait étrangement écho aux ambitions personnelles des deux acteurs principaux: Zack Gottsagen rêvait de devenir acteur, et Shia LaBeouf, désespérant de retrouver la confiance des studios suite à ses excès alcoolisés et son arrestation très médiatisée après une rixe, a failli faire capoter le tournage du film. Cet événement fut l’occassion d’une prise de conscience salvatrice chez le talentueux comédien rongé par la culpabilité. On lui souhaite le meilleur, car c’est un des acteurs les plus doués de sa génération.

De même, Zack Gottsagen démontre par la finesse de son jeu et sa persévérance que, comme son alter ego cinématographique, l’on peut être « handicapé » mais parfaitement capable de mener sa barque de manière autonome et, surtout, qu’on peut prendre ses propres décisions, quitte à ramasser des mauvais coups au passage.

Balade initiatique sur l’apprentissage de l’indépendance et de la maturité, sur la rédemption, road movie qui quitte la route à la photographie soignée et aux cadrages eisensteiniens, comédie dramatique subtile et tendre qui n’hésite pas à dénoncer les conditions de vie précaires des petits pêcheurs indépendants, œuvre art qui imite la vie et ses déboires, The Peanut Butter Falcon est une réussite totale – et même plus : un enchantement !


The Peanut Butter Falcon (2019), un film de Tyler Nilson et Michael Schwartz, avec Zack Gottsagen, Shia LaBeouf, Dakota Johnson, Bruce Dern et Thomas Haden Church.

Le film peut être visionné sur les principales plateformes de vidéo à la demande.

(Texte : Nicolas Metzler, Genève, Suisse / Crédit photo : Armory Films, Lucky Treehouse)