Brian Bowen Smith, sur la route pandaméricaine

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C’est à bord de son vieux pick-up que Brian Bowen Smith, photographe américain connu pour ses portraits de célébrités, s’est lancé dans un road trip aller-retour de 18 000 kilomètres, entre Los Angeles et New York, pour capturer l’âme et le cœur de la culture américaine juste après le début de la pandémie de Covid-19. Cette superbe série de clichés en noir et blanc a la particularité d’avoir été prise à travers les vitres de sa Ford F100 classique de 1958, montrant l’importance d’être physiquement séparé mais socialement connecté. Un coffee table book, intitulé Drivebys, a depuis lors vu le jour, immortalisant cette période de stupeur, suspendue dans le temps, qui englobe toute l'essence brute de la condition humaine entre stars, anonymes et paysages.

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Un cowboy célèbre du Colorado, un couple qui s’embrasse, une jeune femme en robe de mariée sur sa balançoire, un Car Forest dans le Nevada, une mini tornade de poussière, un sosie d'Elvis à Las Vegas, des manifestants du Black Lives Matter… Voici un fragment des portraits et paysages que Brian Bowen Smith a immortalisés au volant de son pick-up blanc lorsque le coronavirus a frappé de plein fouet le monde en 2020, forçant les populations à rester à la maison et à ancrer dans le quotidien la notion de distanciation sociale. Comme tant d’autres, la pandémie a brutalement freiné et impacté son travail. Mais d’une idée à une autre, ce photographe de 51 ans a entrevu l’opportunité unique de capturer le pays en quarantaine. S’il prévoyait un aller-retour Los Angeles-New York de deux semaines pour témoigner de cette nouvelle normalité, l’initiative s’est transformée en une traversée profondément humaniste d’un mois et demi sur 18 000 kilomètres (11 000 miles). Un voyage sur la route qu’il n’aurait jamais pu entreprendre ni envisager… 

Instantané de l’Amérique 

Formé par le légendaire Herb Ritts, ce natif de New York installé à Los Angeles est devenu en près de vingt ans un photographe des plus réputés. Brian Bowen Smith, également passionné de surf, de snowboard et de moto, a signé pléthore de portraits de célébrités pour les magazines, la mode, le cinéma. Cette expédition sur quatre roues marque ainsi une véritable césure dans son parcours, transcendant son approche photographique conçue en studio. L’idée a pris corps lors d’une séance photo qu’il a réalisée avec l’une de ses voisines (la jeune femme que l’on voit en robe de mariée sur sa balançoire ou en robe blanche s’abritant sous un grand parapluie). À travers les vitres de son véhicule, offrant une distance de sécurité appropriée, le projet s’est matérialisé. L’aventure a démarré après son annonce sur Instagram, lançant un appel collectif à ses abonnés pour participer à cette action créative et solidaire. Les réponses ont afflué.

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Muni de son Leica M10 Monochrom et d’un seul objectif, il a ainsi écumé le bitume au volant de sa Ford F100 de 1958, nommée “Pearl”, achetée à un vieil homme atteint d’un cancer, de début mai à la mi-juin, laissant les protagonistes guider ses déplacements. Créer du sens entre les sujets et son pick-up est resté son leitmotiv, puisant dans le style « drive-by », qui consiste à photographier le monde alentour depuis l’intérieur d’un véhicule. Chaque détail a son importance, comme de jouer avec le rétroviseur pour différents niveaux de lecture. Mais surtout, Brian Bowen Smith maîtrise cette palette de tonalités en noir et blanc qui brise la temporalité. Certains clichés donnent l’impression d’avoir été pris au milieu du XXe siècle et non en 2020. Il questionne ainsi habilement l’image et son rapport au temps. Un effet intemporel d’autant plus appuyé qu’il dépeint la diversité culturelle des États-Unis à 360°. Des routes vides aux villes désertées, de l’objet voiture aux populations et communautés d’horizons divers, Bowen Smith documente l’histoire et les multifacettes d’une Amérique chancelante et à l’arrêt, fauchée par la crise sanitaire.

Portrait collectif chargé d’espoir

Plus d’une centaine de personnes ont ainsi fait partie de l’aventure. Si des visages célèbres se retrouvent et posent devant son objectif (Hilary Swank, Josh Brolin, Reese Witherspoon, Cindy Crawford, le rappeur Common,…), il a su surtout capturer l’esprit et l'âme des anonymes entre moments insolites, captivants, drôles et émouvants. À l’image d’une famille propriétaire d’une ferme laitière dans le Wisconsin, qui lutte pour la conserver et survivre. D’enfants s’amusant seuls pendant que les écoles sont fermées. Ou encore de deux jeunes frères, des petits durs à cuire, dont l’un préfère lui dresser le majeur en guise de sourire. Toutes ces images font ainsi écho à l’Amérique de Robert Frank, à celle de Richard Avedon, comme il le rappelle à juste titre.

Bowen Smith signe une ode à la beauté et à la résilience du pays le plus touché par le virus, qui trouve sa puissance dans un livre grâce à une campagne Kickstarter dont les fonds sont reversés à des organisations caritatives comme Feeding America. Intitulé Drivebys, ce superbe coffee table book auto-édité compile sur 300 pages ce foisonnement d’échanges, de rencontres et de lieux. Certains visuels sont présentés en double page pour un attrait panoramique, visuellement saisissant. La dernière page retrace sur une carte toute la trajectoire du photographe, « l'une des expériences les plus étonnantes et déchirantes » qu’il ait vécue, commençant en plein confinement avant de se terminer avec le Black Lives Matter suite à la mort en direct de George Floyd. Un témoignage visuel empli d’émotions et d’humanité.

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Brian Bowen Smith, Drivebys, édition à compte d’auteur, Los Angeles, 2021. Commande en ligne sur le site Internet dédié au projet.

(Texte : Nathalie Dassa, Paris, France / Crédits photo : Brian Bowen Smith)