Sécurité routière, plaidoyer pour la vie
L’année 2022 a marqué les 50 ans de la création du Comité interministériel de la Sécurité routière. À cette occasion, en fin d’année, l’historien Mathieu Flonneau, spécialiste de l’histoire des mobilités, a dirigé un ouvrage évoquant ces décennies de plaidoyers qui ont contribué à la création d’un consensus politique et social dont le but est, aujourd’hui encore, de sauver des vies. Entretien.
Roaditude – Dans cet ouvrage, on retrouve des textes réglementaires, des prises de parole publiques, des interviews d’hommes politiques et des récits intimes. Quelle idée a présidé à la sélection de ces écrits ?
Mathieu Flonneau – Dans cet ouvrage, le souhait est de mettre en évidence des paroles qui ont participé à la création volontariste d’un consensus sur la sécurité routière. C’était un exercice complémentaire de celui accompli dans certains de mes autres travaux, notamment le récent livre En tous sens, sur l’histoire des équipements de la route, et dont le sous-titre est « Circuler, partager, sécuriser », des termes au cœur de la mission de la sécurité routière.
Le livre célèbre 50 de sécurité routière. Que s’est-il passé à cette époque ?
À partir des années 1970, le nombre de morts sur la route est devenu insupportable. Les grands conflits, Première et Seconde Guerres mondiales, sont déjà loin, et la guerre d’Algérie a pris fin une dizaine d’années auparavant. Les Français ne sont donc plus « habitués » à la mort violente. Seuls restent les morts de la route, et à partir du moment où l’on considère que ce n’est pas une catastrophe sur laquelle il n’est pas possible d’agir, les politiques s’impliquent, parfois personnellement, comme Jacques Chaban-Delmas qui avait été lui-même affecté par un accident de la route, ou bien Jacques Chirac. Au-delà de cette dimension psychologique, les années 1970 marquent aussi une évolution de l’écosystème avec des routes davantage sécurisées.
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Quels sont les grands jalons de cette histoire ?
L’histoire de la sécurité routière commence bien avant 1972. La première association de sécurité routière est créée en 1949, l’obligation d’assurance apparaît dans les années 50 et le code de la route remonte à 1922. Mais l’application des règles faisait défaut. En 1972, un comité interministériel dédié à cette question est créé avec tous les pouvoirs régaliens pour appliquer cette politique autour de trois axes qui perdurent encore aujourd’hui : l’alcool, la vitesse et la sécurité passive des véhicules.
Pourquoi ces mesures ont été si impopulaires ?
Les pouvoirs publics ont toujours dû emprunter avec agilité et fermeté une ligne de crête pour responsabiliser les Français sans paraître moralisants. Ceci est notamment passé par la communication avec, en 1973, l’image de Mazamet qui a marqué les esprits. Toute une ville s’est allongée au sol dans un gigantesque happening télévisé, pour rendre concrète l’abstraction statistique de la mort sur la route : entre 16 et 18 000 personnes perdaient la vie chaque année. Certes, il demeure aux marges une contestation populiste de la part de certaines associations d’automobilistes. Mais si l’on considère l’augmentation exponentielle de la circulation multipliée par quinze depuis les années 1970, et la baisse drastique du nombre de morts sur cette même période, divisé par cinq, on peut considérer que la politique de sécurité routière est un succès.
La sécurité routière, est-ce encore une histoire en marche ?
Oui bien sûr, il y a l’application problématique des 80 km/heure qui a été contestée, par des territoires notamment, comme le Conseil général de Corrèze et de nombreux territoires à dominante rurale sont revenus au 90h km/h. Mais il y a d’autres mesures de lutte contre les habitus profonds de notre société, comme l’usage du téléphone au volant. Au-delà de la voiture, il y a d’autres enjeux dans la circulation des trottinettes et des vélos. La France n’a pas rendu obligatoire le port du casque, comme c’est le cas dans beaucoup d’autres pays. Par ailleurs, la dernière campagne de la Sécurité routière revient sur les stéréotypes de genre masculinistes ou virilistes dans la culture routière, tristement vérifiables hélas dans les statistiques. Rappelons que 85% des grands excès de vitesse, à l’origine des accidents mortels, sont le fait d’hommes. Cela nous amène toujours et encore à réfléchir sur la maturité de notre société vis-à-vis de la « civilisation » de l’automobilisme et de la route.
Mathieu Flonneau, “Ces morts, ces blessés, ces familles meurtries nous interpellent et nous obligent.” - Cinquante ans de plaidoyers en faveur de la sécurité routière, Ministère de l’Intérieur, Délégation à la Sécurité routière, Paris, 2022.
A consulter également, le site Internet de l’exposition itinérante organisée en 2022 pour les 50 ans de la sécurité routière.
(Texte : Claire Teyserre-Orion, Paris, France / Crédits photo : Ministère de l’Intérieur, Délégation à la Sécurité routière, DR)