La Suisse, fabuleux décor de cinéma
Aujourd’hui sort en librairie un petit bijou aux éditions l’Age d’Homme ! Ecrit par le philosophe et passionné de cinéma Cornelius Schregle, richement illustré, Backdrop Switzerland nous présente la Suisse telle qu’elle apparaît à travers le prisme du cinéma international. La couverture de l’ouvrage de Cornelius Schregle montre une photo du tournage de Goldfinger, un film de James Bond dans lequel le célèbre espion conduit son Aston Martin sur le Col de la Furka. Cette scène emblématique fait directement écho au dernier numéro de Roaditude, dans lequel la rédaction a proposé son top 8 des cols alpins.
Roaditude – Cornelius Schregle, l’attrait historique des cinéastes pour la Suisse est notamment lié à la présence des montagnes. Or, il y a de belles montagnes en France ou au Canada aussi ! Alors, qu’est-ce qui attire ainsi depuis toujours les équipes de tournage en Suisse ?
Cornelius Schregle – Evidemment, il y a de magnifiques montagnes ailleurs qu’en Suisse ! La différence est qu’à l’étranger, la Suisse est intrinsèquement associée aux montagnes et à la culture qui en découle : chalets, edelweiss, fondue, cor des Alpes, cols alpins, etc. Tout cela est si fortement imprégné dans la culture mondiale que c’est considéré comme suisse, même si cela existe ou vient d’ailleurs. Des clichés qui nous servent bien, comme on le voit.
Pouvez-vous nous expliquer le titre de votre livre, Backdrop Switzerland ?
Le « backdrop » est tout simplement une « toile de fond ». A l’origine, le terme décrit le tissu peint utilisé dans les théâtres, puis il est resté dans le jargon cinématographique pour décrire tout ce qu’on voit à l’écran derrière les protagonistes.
Comment vous est venue l’idée de cet ouvrage ?
Enfant, j’adorais ces films étrangers qui se passaient en Suisse… Curieux, non ? Je pense que j’aime voir mon environnement en Panavision ou en Technicolor… (rires). En fait, c’est après avoir travaillé comme location scout pour HBO à Hollywood que j’ai eu l’idée de répertorier tous ces films tournés en Suisse, ou qui utilisent la Suisse en toile de fond. Étonnamment, personne ne l’avait jamais fait avant. Et puis je voulais aussi qu’il y ait le moins de texte possible, que les images racontent une histoire. Comme quand vous faites des repérages : vous ramenez au réalisateur des photos du lieu sélectionné, pas de blabla.
La représentation de la Suisse au cinéma est souvent fantaisiste – dans Goldfinger justement, James Bond conduit en montagne alors que son radar montre clairement qu’il est supposé être sur les bords du lac Léman, ce qui est assez cocasse en soi – cette représentation est souvent même pleine de clichés, voire carrément mythifiée. Pourquoi cela ?
Je me rappelle avoir lu une fois la remarque d’un spectateur qui était choqué d’apprendre que le décor d’un film qu’il avait aimé était faux(!). Je n’ai pas compris. On sait bien qu’au cinéma, tout est illusion. Ça fait partie de la magie. Tant qu’on reste dans les limites du crédible, la réalité est sans importance. C’est la raison pour laquelle j’ai inclus tous les films qui se passent en Suisse mais dont les décors ont été reconstitués en studio. Dans le cas de Goldfinger, la majorité des gens qui ont vu le film autour du globe n’a aucune idée de la géographie de la Suisse, et donc ils auraient pu tout aussi bien mettre une carte de Zurich ou autre dans cette séquence…
Est-ce que la Suisse est représentée de manière différente au cinéma selon le contexte historique (par exemple, avant-guerre et après-guerre) ?
Clairement. Le contexte historique joue un rôle important. Avant la guerre, les « Bergfilme » (ou films de montagne) étaient en vogue. Après, c’étaient les histoires d’espionnage liées à la neutralité suisse et au fait que Genève abrite les organisations internationales. Reste les sujets tournant autour de la médecine d’avant-garde, et évidemment les coffres de banques qui, malgré la fin du secret bancaire, offrent une matière qui continuera d’exister encore quelque temps.
On croise dans votre ouvrage des filles dénudées (Ich – ein Groupie, 1970), Mickey Mouse et Donald Duck, le désopilant inspecteur Clouseau, mais aussi la créature de Frankenstein ou un œil géant à tentacules (The Crawling Eye, 1956)… Alors, la Suisse est-elle la terre d’asile de tous les fantasmes cinématographiques ?
En fin de compte, que ce soit au cinéma ou à la télévision, il faut en permanence renouveler les environnements dans lesquels se trouvent les protagonistes, et la Suisse semble faire partie de la liste de base. C’est dû à la forte identité du pays, c’est comme pour un produit finalement. Dès que les scénaristes vont parler de montagnes, banques, recherche médicale, ils vont penser à la Suisse. En ce qui concerne les films d’horreur, c’est soit parce que c’est en rapport avec la recherche soit, dans le cas de Frankenstein, parce qu’il est né à Genève. Dessins animés, films érotiques, science-fiction, on a de tout. Je ne peux pas imaginer de genre ou de sujet qu’on ne puisse transposer dans les décors suisses.
Cornelius Schregle, Backdrop Switzerland, Ed. L’Âge d’Homme, Lausanne, 2016.
(Interview: Nicolas Metzler / Crédits photo: EON Productions/United Artists, L’Âge d’ Homme)