Routes américaines : Camino a las Yungas, l'appel du vide

Une route relie la forêt amazonienne et La Paz. Tintin l’emprunte, dans l’Oreille cassée, frôlant de près la mort alors que son véhicule termine sa chute 600 mètres plus bas, au fond d’un ravin. Il s’agit du Camino a las Yungas, affectueusement surnommé la « route la plus dangereuse au monde ». 

La Bolivie est un pays de sommets et de virages en épingle. N’importe quel voyageur vous le dire: en plus du mal des montagnes (la puna), il faudra se préparer à un semblant de mal de mer tant les courbes sont nombreuses et les routes, peu asphaltées. Le Camino a las Yungas ne fait pas exception à la règle. À un détail près, peut-être. Les touristes paient pour l’emprunter et en ressortent exaltés.

À La Paz, on les reconnait autant à leur peau claire qu’à leur t-shirt “I survived Death Road”. C’est que la route a beau être dangereuse, elle est devenue, depuis une vingtaine d’années, un incontournable de la gringo’s trail sud-américaine. Elle est magnifique, il va sans dire. Ses 66 kilomètres sont une succession de forêts foisonnantes nappées de brouillard, de cascades et de sommets enneigées. Mais ce qui fait sa renommée, c’est sa descente plus que plongeante, de préférence effectuée sur deux roues. On parle de 3500 mètres de dénivelé. Les promoteurs touristiques n’hésitent pas à vendre du vélo de montagne «gravitationnel» pour mousser leurs visites guidées, puisque la première loi de Newton fait en sorte que les coups de pédale sont quasi superflus.

Une GoPro bien attachée
S’ils achètent le forfait (autour de 100$ pour le standard), les gringos ne sont pas laissés à eux-mêmes. Ils sont équipés d’une veste chaude (il fait froid, là-haut), d’une paire de gants qui n’empêchera pourtant pas leurs bras de trembler après trois heures de descente, et d’un casque qui s’apparente plus à celui d’une moto qu’à celui fait pour une promenade de plaisance sur piste cyclable. Et pour ceux qui veulent partager leur frousse, une GoPro bien attachée. La première section est asphaltée, comme pour  mettre les cyclistes en confiance, mais les travaux ont été interrompus quelques kilomètres plus loin. Un guide les conseillera et les rassurera tout au long du chemin (les coups de freins secs sont à proscrire à cause du gravier), et tempérera les ardeurs des plus téméraires. Un accident est si vite arrivé… D’ailleurs, un nombre impressionnant de petites croix en bois ou en mécanismes de vélo parsèment le trajet, et certains commentaires «une étoile» sur TripAdvisor relatent des histoires d’horreur au sujet de la mort occasionnelle d’un cyclotouriste étourdi.

Pourtant, le Camino est loin d’avoir été conçu comme attraction touristique. Construit par des prisonniers de guerre paraguayens capturés lors de la guerre du Chaco dans les années 30, on le voyait surtout comme une façon de connecter la forêt amazonienne avec la capitale afin que le transport à dos de mules soit (un peu) moins pénible. Puis, les voitures s’y aventurèrent, puis les camions, les bus, les tracteurs, puis enfin, les touristes à vélo en manque de sensations fortes. Même Mitsubishi y a filmé une publicité pour son Outlander pouvant supposément braver n’importe quel chemin en gravier peu recommandable.

En 2006, une deuxième route a été inaugurée, aujourd’hui empruntée par la majorité du traffic. N’empêche, la Ruta de la muerte (Route de la mort) continue malheureusement à mériter son surnom, année après année. Les morts ne sont pas seulement étrangers, en fait, la grande majorité sont boliviens, et en voiture plutôt qu’à vélo. La situation est à ce point catastrophique que le gouvernement a instauré un règlement spécial sur ce tronçon de route pour obliger les chauffeurs à conduire à gauche, comme on peut le faire en Australie ou en Grande-Bretagne. Ainsi, le véhicule qui monte a toujours priorité, ce qui incite les conducteurs qui descendent à tombeau ouvert (et donc du côté précipice) à un peu plus de prudence. Avis aux gens qui souffrent du vertige, la même règle s’applique aux cyclistes qui sont de ce fait à quelques centimètres, ou à une roche mal placée, de faire le saut de l’ange depuis la falaise. On n’a toujours pas installé de garde-fous pour prévenir les faux-mouvements.


(Texte : Nora T. Lamontagne / Crédit photo : Jimmy Harris)