Cent Cols Challenge : son impossible à conquérir

La passion du vélo aura toujours quelque chose de mystérieux et de fascinant. Phil Deeker est l’un de ces « mordus », et non des moindres, puisqu’un jour, il a décidé de tout lâcher pour se consacrer à la Petite Reine. Depuis 10 ans, il organise le Cent Cols Challenge, un défi qui a conquis ses lettres de noblesse, parce qu’il mêle subtilement effort physique et découverte. Rencontre.

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Roaditude – Phil Deeker, vous êtes le fondateur et l’organisateur du Cent Cols Challenge. Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?
Phil Deeker – J’ai commencé le vélo à quarante ans, au moment où je me suis retrouvé à travailler derrière un bureau pour la première fois de ma vie. J’ai toujours été plus heureux en extérieur, même si cela signifie avoir froid, être trempé ou en nage à cause du soleil. Aller au travail et en revenir sur mon vélo me fournissait ma dose de sueur, de vent et d’effort physique, dégagé de toute contrainte sociale – la Liberté ! J’ai attrapé le « virus » très vite : les navettes routinières de la semaine sont devenues aussi mon obsession du week-end, au grand désespoir de mon épouse. Sur mon vélo Audax, j’accomplissais une étape du Tour chaque année (quand le Tour avait encore cette aura de prestige de « vrai truc »). J’ai découvert le frisson de rouler dans les montagnes, je ne pouvais plus m’en passer ! Mon cinquantième anniversaire m’a fourni une excuse valable pour me faire plaisir et effectuer une grande virée pendant mes vacances. Je me suis lancé le défi de faire « trois cent cols », et ma femme a gentiment accepté de conduire la voiture de soutien. Parfois, pendant les vingt-six jours que ça m’a pris, j’ai douté, pensé que j’allais échouer, mais ma « victoire finale sur l’impossible » ne m’a laissé qu’une seule option : je devais quitter mon travail et passer plus de temps sur mon vélo. Cela allait de pair avec le désir de partager mon expérience avec les autres, afin qu’ils puissent eux aussi faire la « conquête de leur impossible » – et donc tout naturellement, l’idée m’est venue de ce défi du Cent Cols Challenge. J’ai parlé de mon projet à Simon Mottram, le CEO de Rapha (à l’époque, la marque n’existait que depuis deux ans), car il m’avait sponsorisé et soutenu pour cette folie qu’avait été mon défi personnel des 300 cols. Après quelques hésitations sur le fait que nous allions difficilement trouver assez de cyclistes pour faire de ce challenge un événement annuel, Mottram a décidé de se lancer dans l’aventure. Et voilà, nous avons organisé cinq (!) de ces défis rien que l’année passée !

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Parlez-nous de votre passion pour le vélo…
Je me considère encore et toujours comme un cycliste amateur passionné par son hobby, même si cela est devenu ma profession. La compétition, la course aux résultats, ça ne m’a jamais intéressé. L’accomplissement personnel, oui, mais seulement par un combat contre moi-même, pas contre les autres, même si je dois avouer qu’une petite compétition temporaire sur une montée fait aussi partie du challenge ! Ma flamme intérieure est attisée par cet amour de l’alchimie qui naît de la découverte de routes permettant la combinaison de cette trilogie : « montagnes, vélo, technique du cyclisme ». Quand l’effort physique requis pour grimper des routes raides vous met à nu, les sensations s’intensifient et les variations de cette espèce d’allégresse deviennent infinies. La prochaine virée devient alors toujours la meilleure.

En 2017 aura lieu la 10e édition du Cent Cols Challenge. Pouvez-vous nous présenter cette compétition ?
J’ai à ce jour organisé et participé à presque trente de ces défis. Ce n’est pas une compétition ni une course. Je voulais créer un événement qui soit déjà suffisamment difficile à finir, simplement, mais sans que ce soit une course. Un truc qui semble impossible sur le papier mais qui, avec suffisamment de forme physique, d’expérience et, par-dessus tout, de détermination, reste possible à  accomplir. Bien qu’il faille être fort individuellement, vu que ce n’est pas une course, les participants considèrent que le soutien des autres est tout aussi important. Le sens de l’accomplissement collectif est une chose aussi forte à vivre qu’une victoire personnelle, c’est du moins ce que les participants me disent souvent à la fin des défis. Le programme a toujours été plus ou moins pareil: une moyenne de 200 kilomètres par jour, une dénivellée de 3’000 à 6’000 mètres, le tout pendant dix jours (avec un jour de repos après la cinquième étape). On a commencé avec les Alpes en 2009, et maintenant j’aime emmener les participants sur des routes moins fréquentées, que ce soit dans des régions connues comme les Alpes, les Pyrénées, les Dolomites ou les Monts Cantabriques, mais aussi sur des tracés moins courus : la Forêt Noire, les Cévennes ou les Appenins. Ces événements sont surtout l’occasion d’un « voyage » – un voyage qui emmène les cyclistes sur des routes oubliées, ce qui en fait une expérience mémorable, enrichie par le sens de la découverte.

Quelles seront les particularités de l’édition 2017 ?
Pour célébrer les dix ans depuis mon défi initial de trois cent cols ainsi que mon soixantième anniversaire, j’ai eu l’idée de dix défis CCC (ndlr : « Cent Cols Challenge ») successifs, ce qui est pour moi le moyen parfait de partager les routes CCC avec le plus de « vétérans » possibles du CCC – les participants qui ont suivi les challenges de ces neuf dernières années. C’est aussi une manière de me faire peur en plaçant la « barrière de l’impossible » encore plus loin, plus haut, et de générer de l’intérêt chez de nouveaux participants, qui pourront profiter de l’expérience des « anciens » du CCC. Il y a environ 200 places sur les dix événements (nous avons déjà 160 inscrits). Le défi débutera en mai 2017 à Bastia, en Corse, et se terminera à Bilbao au pays basque en octobre, via les Appenins, les Dolomites, la Forêt Noire, le Jura suisse, les Vosges, le nord des Alpes, le sud des Alpes, les Cévennes et le Massif Central, les Pyrénées occidentales et orientales, et le nord-ouest de l’Espagne !

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Que faut-il faire pour y participer ?
On peut s’inscrire sur le site de l’événement. L’âge des coureurs varie de 23 à 63 ans. Mais l’âge moyen des participants se situe entre 45 et 55 ans. Il y aura environ 20 coureurs par événement.

La marque Rapha est le sponsor du Cent Cols Challenge. C’est important d’être élégant pour gravir un col ?
A moins que le ciel soit complètement dégagé, il faut être prêt à des changements de climat rapides et dramatiques quand on roule en montagne. Etre trempé à plus de 1’500 mètres, une fois la montée effectuée, peut se révéler être un vrai problème quand la route se remet à descendre de l’autre côté. La chaleur corporelle se dissipe très vite. Bien qu’il semble a priori évident de porter des vêtements adéquats pour parer aux changements d’humeur des Dieux, cela se révèle être un art que seule l’expérience peut enseigner. Cette connaissance a d’ailleurs souvent fait la différence entre le coureur qui continue à rouler dans l’inconfort et celui qui doit abandonner l’étape. Le confort physique est la fondation principale sur laquelle bâtir une attitude solide et positive de détermination quand le « Grand Dehors » vous met à l’épreuve. Des vêtements qui soient le résultat de recherches et de tests assidus permettent la possibilité d’un haut niveau de performance, et c’est bien sûr d’une grande aide !

De la même manière, pour rouler de manière « durable » (en usant d’un style et d’une technique qui vous permettra de grimper, grimper et grimper encore !), il faut être aussi fluide, efficace et ordonné que possible. On doit gaspiller le moins d’efforts possibles sur des mouvements incontrôlés. Les meilleurs grimpeurs sont souvent qualifiés d’ « anges » ou d’ « oiseaux ». Bref, pour parler simplement, il faut porter un équipement qui vous donne l’impression d’avoir de l’allure, d’être ordonné, qui vous aille comme une seconde peau, et qui vous aidera à vous sentir en contrôle et relaxé pendant votre défi. Et les vêtements de la marque Rapha vous y aideront grandement !

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De col, si vous deviez n’en retenir qu’un seul, ce serait lequel, et pourquoi ?
On me pose souvent cette question. Et bien, malgré le grand nombre de cols que j’ai déjà escaladés dans des régions reculées d’une exceptionnelle beauté, malgré les routes que j’ai découvert accidentellement et que je rêve de faire découvrir à d’autres cyclistes, mon « île déserte de la grimpe » a toujours été le Mont Ventoux. Et cela pour plusieurs raisons : la Provence est, après les Pyrénées, ma région préférée pour le cyclisme. De même, le Mont Ventoux n’appartient à aucune chaîne de montagnes : il est solitaire dans son mystère et son aura. Et puis, cette montagne exige de vous un prix à payer avant de se révéler à vous : bien qu’elle dévoile ses côtés les plus menaçants depuis les collines situées au nord, les panoramas y sont rares – voire inexistants depuis le sud – jusqu’à ce que vous soyez arrivés à mi-montée, tout haletant à cause de l’effort soutenu et de son intensité. Le Mont Ventoux est accessible à tous, c’est presque devenu une pèlerinage touristique, il offfre donc l’opportunité de partager en masse le frisson du cyclisme en altitude. Cependant, à d’autre moments, il a été l’endroit le plus solitaire et hostile qu’il m’ait été donné de parcourir. J’aime sa capacité à changer de masque en quelques minutes. Même sa beauté provient de l’aspect menaçant du paysage minéral à son sommet.

La route elle-même, en particulier depuis Bedoin, est la raison principale pour laquelle j’aime cette montagne plus que tout autre. La transition régulière de la végétation, d’abord des vignes, puis des pins, des peupliers, des hêtres, des cyprès broussailleux et enfin des rochers déchiquetés, fait de cette montée un véritable voyage depuis le confort des vignes civilisées et bien entretenues, des vergers de cerisiers, jusqu’à la pureté des pentes rocheuses balayées par les vents. C’est la plus cathartique des grimpes pour l’esprit et le corps. La vision de cette Provence miniature, tout en bas, est la plus grande récompense que je connaisse après l’effort physique. Et pourtant, je n’ai jamais eu aussi chaud que sur cette montagne et même, une fois, j’ai du m’arrêter en pleine descente, en plein délire glacé, pour empêcher mes mâchoires de claquer de manière incontrôlable et de lacérer ma langue. Je me suis retrouvé au sommet à cinq heures du matin, à dix heures du soir, et à toutes les heures entre deux. Bien sûr, les moments solitaires au sommet sont les plus mémorables. Je pourrais continuer des heures sur le sujet… Donc ce n’est pas un hasard si l’étape 5 du CCC des Alpes du Sud comprend trois ascensions du « Mont chauve » !

Une fois qu’on a fait cent cols, on rêve encore de faire du vélo ?
Le nombre de fois où j’ai entendu des coureurs me dire : « Plus jamais ! » à la fin d’un CCC est égal au nombre d’emails que je lis quelques mois après, me demandant les dates des prochains challenges. Et ces mails proviennent des mêmes personnes ! En effet, pendant environ une semaine après la fin d’un CCC, avec le corps rompu et l’esprit épuisé, mais débordant d’images, de sensations et d’émotions, on est comme sur des montagnes russes, incapable de décider si on a aimé cette expérience ou pas. On en vient même à se demander si on aime encore pédaler. Mais une fois que la poussière retombe, que le corps et l’esprit sont à nouveau frais et dispos, que la vie quotidienne a repris son cours, le coureur aspire de nouveau très vite à cette liberté issue de l’expérience pure et simple de rouler toute la journée, jour après jour, sur des routes qui semblent avoir été faites pour et attendre des cyclistes aventureux comme lui. Le cyclisme « normal » semble tout à coup quelque peu banal. Les virées qui étaient un but en soi deviennent des étapes vers quelque chose de plus grand. Oui, on en vient à en vouloir plus. Bien sûr, certains ne ressentent pas ça, mais la plupart des coureurs, oui. Quand tu as vu ces « Hautes Routes », tu sais ce qu’elles peuvent t’offrir, et c’est sans limite. Leur appel résonne à nouveau. Toujours.

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Pour en savoir plus et s’inscrire : www.centcolschallenge.com

(Interview : Laurent Pittet / Traduction : Nicolas Metzler / Crédits photo : Gruber Images, Jered Gruber)