En route pour les ténèbres

Sorti directement en dvd il y a peu, Kill the King, le film d’Eddie O’Keefe, et ce malgré la présence de très bons acteurs au générique, manque d’originalité et peine à raviver le mythe très américain des « amants terribles » qui prennent la route pour fuir leurs démons, mais finissent par courir à leur perte à trop vouloir danser avec le Diable. Joyeusement immoral mais plutôt fade, ce film rappelle par de nombreux aspects ses illustres prédécesseurs, en particulier l’ultra-violent et hystérique Tueurs-nés d’Oliver Stone, ou le génial True Romance du regretté Tony Scott. Cependant, il offre l’occasion d’évoquer le fait divers sordide à l’origine d’un « sous-genre » du cinéma qui compte pas moins de… vingt-cinq films à son actif !

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En 1974, deux kids en rupture, les beaux gosses Karen Bird et Jack Blueblood, s’amourachent lors d’un séjour en hôpital psychiatrique. Ayant visiblement abusé de la mescaline, le désinvolte Jack est persuadé qu’il a une mission sacrée à accomplir : il doit assassiner Elvis Presley. Pourquoi ? Parce que la voix de sa mère décédée le lui a ordonné. Nous n’en saurons pas plus. C’est sur cette justification faiblarde que le jeune homme dérangé décide de s’enfuir de l’hôpital avec Karen, non sans avoir trucidé quelques membres du personnel au passage. La jeune fille se prête de bonne grâce aux délires de Jack car, comme elle le dit elle-même, elle ne « veut pas finir sa vie comme serveuse à Chattanooga » (comprenez : dans le trou du c** du monde). Commence alors une course contre la montre pour arriver à dézinguer Elvis Presley à Los Angeles avant un de ses concerts.

La fin du Roi-Soleil
Pendant ce temps, apathique, dépressif, drogué en permanence et perpétuellement entouré de putes, de parasites et de gourous divers, chaperonné par des gros bras de la mafia, le roi Elvis Presley se meurt. En effet, tous les historiens du King (interprété dans le film par Ron Livingston, qui offre une composition sobre mais touchante) s’accordent sur ce point : l’année 1974 inaugure la lente déchéance artistique, morale et physique de l’artiste, une chute qui trouvera son épilogue avec sa mort par overdose, en 1977. Tout le film est d’ailleurs traversé par l’évocation, dans les propos de Jack ou d’Elvis, du destin de notre Soleil, étoile vouée à se transformer en naine noire (black dwarf) en fin de vie, lorsqu’elle aura fini de brûler toutes ses réserves en hydrogène. C’est oublier un peu vite qu’avant d’embrasser cet hypothétique destin, notre étoile gonflera, gonflera encore pour devenir une géante rouge, embrasant tout le système solaire pendant encore 500 millions d’années…

Car l’histoire de l’astre Elvis Presley, nous la connaissons tous: le King n’a pas été assassiné en 1974. Au contraire, désormais immortel, il brille au firmament du rock n’roll pour l’éternité. Jack et Karen, eux, sont des personnages totalement fictifs. Présenté comme un faux documentaire, Kill the King est filmé dans des tons jaunasses, et le réalisateur abuse de l’effet « gros grain » propre au format super 8 ou des procédés du vidéo-clip. Malgré la réjouissante présence en voix off de Burt Reynolds (le narrateur), on peine du coup à s’identifier aux différents personnages et à la quête insensée des amants meurtriers, filmée de manière intimiste et évanescente.

La liberté ou la mort !
Kill the King, c’est du pipeau comparé aux outrances de Tueurs-nés (1994), le film d’Oliver Stone : l’histoire de deux psychopathes nihilistes s’aimant d’amour fou, deux beaux salauds pour lesquels on finit par vibrer, et ce malgré un léger sentiment de culpabilité au vu des exactions qu’ils commettent. Bien sûr, il est difficile de rivaliser avec le talent des acteurs interprétant Mickey et Mallory Knox (Woody Harrelson et Juliette Lewis, excusez du peu), mais surtout, Kill the King est totalement dénué des éléments qui font la force du film de Stone : une rage primitive et viscérale, une folie furieuse et un psychédélisme cauchemardesque. De même, l’histoire d’amour entre Jack et Karen n’a pas la pureté ni le romantisme naïf de celle vécue par Alabama et Clarence (Christian Slater et Patricia Arquette) dans True Romance de Tony Scott (1993). Un peu paumées mais tellement sympathiques, ces deux âmes-sœurs prennent la route pour aller vendre une valise bourrée de coke à un producteur de films de Los Angeles. Le deal tourne mal et vire au massacre, mais Clarence et Alabama survivent à la fusillade finale, en partie grâce à l’intervention d’Elvis Presley, ou plutôt de son fantôme, que Clarence imagine comme une figure tutélaire qui lui prodigue des conseils tout au long du film.

Sentiers battus : l’affaire Starkweather/Fugate
Zabriskie Point, Badlands, Kalifornia, Drugstore Cowboy, Sailor and Lula, j’en passe et des meilleurs : tous ces films font partie d’une même constellation cinématographique finalement très codifiée. La route, les clichés de l’americana (diners, motels, etc), les cadillacs (dans lesquelles les protagonistes roulent presque toujours, vous pouvez vérifier), la fascination pour Elvis Presley : ces motifs apparaissent régulièrement dans les films sus-mentionnés. Cette constellation, c’est celle des amants fugitifs épris de liberté, dont Roméo et Juliette sont les archétypes. Considérés comme des criminels – ce qu’ils sont parfois – par une société qui les réprouve totalement, ils doivent coûte que côute « rentrer dans le rang », se soumettre et embrasser une existence petit-bourgeoise, sous peine de mort. Air connu.

Ce qu’on connaît moins, c’est le fait divers qui a inspiré cette rimbambelle de films sur le sujet : la « mortelle randonnée » de Charles Starkweather et Caril Ann Fugate qui, entre 1957 et 1958, ont assassiné sur leur route pas moins de onze personnes (dont les parents et la petite sœur, âgée de deux ans, de la jeune fille), dans le Midwest américain. Charles, une brute psychopathe à moitié demeurée, était fasciné par James Dean, en qui il voyait un alter ego. Et Caril Ann ? Et bien c’était une gamine de quatorze ans apparemment équilibrée, dont les motivations resteront probablement mystérieuses à jamais, car elle n’a a aucun moment fourni d’explications à ses actes.

Elle a été condamnée à la prison à vie, et Charles Starkweather a fini sur la chaise électrique.  Clap de fin.


Kill the King (2016), un film d’Eddie O’Keefe, avec Emily Browning, Luke Grimes, Ron Livingston et Ashley Greene.

(Texte : Nicolas Metzler, Genève, Suisse / Crédits photos : Bow and Arrow Entertainment, Warner Bros.)