Fin du voyage : les routes-mausolées de Christophe Rihet

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L’exposition du photographe Christophe Rihet, Road to death, se tient cet été à la Maison des peintres dans le cadre des Rencontres photographiques d’Arles 2017. De saisissants paysages nimbés d’une lumière douce défilent devant nos yeux, jouant sur le contraste entre la beauté des lieux et la violence dont ils ont été l’objet. Ces tirages argentiques de grand format s’offrent comme un hommage-tombeau à quelques personnes célèbres que la route a fauchés. La route que l’on arpente le temps de l’exposition a pour haltes les noms, entre autres, de James Dean, Albert Camus, Coluche, Helmut Newton, Grace Kelly, Jackson Pollock… Elle se présente comme 27 stations de croix où la mort a percuté des stars, des artistes. Corniche, rue tranquille de Paris, longue route droite entourée de désert ou bordée d’arbres campent un décor quasi cinématographique surmonté de magnifiques cieux indifférents à la tragédie dont ils furent les témoins. Des routes tueuses, mortelles, mausolées, qui furent le cadre d’accidents, de suicide (Jean Seberg), d’assassinat (le rappeur Notorious B.I.G.), l’on ne voit que l’après-drame.

Rien de morbide dans cet hommage aux lieux et aux icônes qui périrent de mort violente mais une évocation troublante de l’absurde, du destin, du hasard roulant dans un cornet à dés métaphysiques. Sans recourir à l’artifice de la mise en scène ni verser dans l’esthétisation, Christophe Rihet nous fait voir l’après : évitant de nourrir le voyeurisme, de titiller la fibre tragique de qui montrerait la violence de l’accident, de la mort brutale, le photographe a choisi de capter des lieux où la vie a chaviré, de faire parler des paysages qui taisent les traces du drame. Lieux chargés de mémoire, ces « roadscapes » gardent la présence du disparu, une présence que Christophe Rihet transfigure en beauté contemplative. La mort est devenue paysage.

Véronique Bergen – Pouvez-vous décrire votre parcours, parler de vos créations filmiques et photographiques ?
Christophe Rihet – Je viens d’un background commercial, je suis venu à la photo par la mode, puis par la publicité, mais la photographie a toujours été pour moi un art à part entière, du fait de mon éducation à l’école Louis Lumière avant de commencer un travail commercial.

Mes créations filmiques et photographiques ont toujours été pour moi expérimentales, plutôt que commerciales. Je ne me suis jamais pris au sérieux, mais plutôt une envie de créer, de pouvoir m’exprimer au mieux pour faire passer un message.

Comment, en passant à l’endroit où James Dean a trouvé la mort, vous est venue l’idée d’entreprendre un travail sur les « suicidés » de la route ? Comment avez-vous procédé pour trouver les emplacements exacts ?
Il y a maintenant 6 ans que j’ai commencé ce travail, j’ai eu la chance de travailler à Big Sur, pour un projet commercial, et la route qui mène à Big Sur passe par là où James Dean eu son accident. Je fus surpris de ne rien trouver sur place les jours où je suis resté à chercher quelques traces de son accident. C’est après un jour que je me suis aperçu que, malgré l’interdiction locale, les fans de James Dean s’étaient déjà appropriés l’endroit grâce à des barbelés proches de l’accident.

L’idée d’entreprendre une histoire sur les accidents m’est venue par rapport à une histoire qui me fut rapportée à Big Sur. A l’endroit même où je travaillais, une femme âgée de Dallas vivait au plus haut de la colline et passait son temps à rouler avec une Cadillac Eldorado rose, jusqu’au jour où, en dévalant la seule et unique route, elle se tua en ratant un virage. La Cadillac Rose, qui n’était pas du tout appropriée au chemin de campagne, finit sa route dans le fond d’un ravin.

L’idée saugrenue de voir une Cadillac rose au fond d’un ravin m’a donné envie d’une recherche poussée sur les accidents, et James Dean était la première pierre à mon édifice.

 Qu’est-ce qui a présidé au choix des lieux, des personnes ? Les « célébrités » ont-elles primé sur le  lieu où elles ont perdu la vie ? Ou le paysage a-t-il été déterminant ? Le choix de 27 paysages fait bien entendu référence au club des 27 ?
Comme je le décris plus haut, la Cadillac Rose décapotable était le déclencheur commun. La personne n’était pas une célébrité, mais plutôt excentrique et libre.

La sensation de liberté, de choisir son destin m’a plutôt influencé. Et souvent la possibilité de faire ce que vous avez toujours voulu donne cette sensation de liberté, d’invincibilité. C’était probablement le cas pour James Dean, avant même d’être une gloire. Sa mort en a fait une.

Y a-t-il des endroits que vous n’avez pu immortaliser et que vous rêvez de saisir ?
Oui beaucoup, dont deux autres coureurs de voitures, et d’autres artistes qui sont dans ma liste pour une éventuelle réédition du Livre.

Pourrait-on dire que le dénominateur des personnes que vous évoquez s’appelle fureur de vivre, syndrome James Dean, à savoir des existences dévorées par un funambulisme du risque, un principe d’excès ? La route comme mausolée, n’est-ce pas un mythe éminemment moderne ?
Exactement, je pense que la sensation de liberté, de choix de vivre est le plus important dans ma recherche de ces accidents.

La description des routes dans mes photos était fabriquée pour représenter justement ce mausolée invisible, sans trace forcément de mémorial. Une sorte de peinture anamorphique qui représente la mort dans un coin de mon image.

Pourquoi la volonté de photographier à l’aube ou au crépuscule ? Travaillez-vous toujours en argentique ?
Une sorte d’hommage aux personnes dont j’ai célébré la mort, et c’est aussi important dans la fabrication des couleurs, pour mes images anamorphiques. Le temps passé, la recherche sur place, et les temps de pause très importants sur mon cadre photographique, la recherche de cette lumière mixte entre chien et Loup m’ont aussi beaucoup influencé.

Helmut Newton

Helmut Newton

Grace Kelly

Grace Kelly

Coluche

Coluche

James Dean

James Dean

Françoise Dorléac

Françoise Dorléac

Albert Camus

Albert Camus


Christophe Rihet, Road to Death, Rencontres photographiques d’Arles, du 3 juillet au 24 septembre 2017, Maison des peintres, Arles
Voir le site Internet des Rencontres d’Arles
Voir le site Internet de Christophe Rihet
A lire : Christophe Rihet, Cross Roads, publié par Antoine de Beaupré

 

(Interview : Véronique Bergen, Bruxelles, Belgique / Crédits photo : Christophe Rihet)