« Viande en boîte », le grand crash

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Un an après La résistance thermale, hilarante plongée dans l'univers discret des cures thérapeutiques, le théâtre POCHE/GVE programme une nouvelle œuvre du talentueux auteur autrichien Ferdinand Schmalz. Cauchemar abyssal doublé d'une réflexion radicale sur l'accidentologie des transports et l'activisme environnemental, Viande en boîte ne laissera aucun spectateur sur le bord de la route. Un conseil: attachez vos ceintures, sinon, ça va faire très mal !

L'inspecteur des assurances Rolf (Vincent Coppey) est envoyé enquêter sur un bout d'autoroute où se produit un taux anormalement élevé d'accidents pour le moins sanglants. Armé de son appareil photo, il s'emploie à trouver un schéma explicatif à cette accumulation étrange de crashes qui finissent tous en "salade de métal, en salade de viande". Survient alors la tenancière du restoroute voisin, Beate (Léa Pohlhammer, terrifiante), sorte de Reine des Glaces désabusée et hostile, qui aimerait bien voir l'enquêteur déguerpir au plus vite.

Mais Rolf s'attarde et minaude avec la serveuse Jayne (la très charismatique Angèle Colas), sous le regard d'un routier voyeur et philosophe (Guillaume Miramond), qui fait office de chœur à l'antique des événements en cours. Les apparences se révéleront cependant trompeuses (comme la blondeur factice des protagonistes féminines), les motivations troubles - ou au contraire, radicales - des uns et des autres finiront par se dévoiler autour de cette portion désolée d'autoroute, et l'intrigue culminera dans un final implacable.

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« Où il y a une volonté, il y a une route »

Le tour de force de Viande en boîte consiste précisément à évoquer, dans une langue richement métaphorique, l'omniprésence de la route, sans qu'on la voie jamais. Elle conditionne en permanence le comportement des personnages et leur destin, car « ici, soit on garde le corps en mouvement, soit on se crashe. » Les voyageurs de passage ne sont que des accidentés ou des fantômes en sursis, et la pièce baigne dans une sorte d'irréalité, d'artificialité angoissante; les personnages ne semblent être eux-mêmes que des mannequins de crash-tests tout étonnés d'être dotés de la vie.

Ce sentiment est renforcé par une mise en scène très cinématographique, voire carrément lynchienne: on pense souvent à Lost Highway ou à Crash de Cronenberg (l'assureur qui s'auto-mutile et prend son pied en matant les photos des cadavres), et le Diable en personne semble être le marionnettiste de ce jeu de dupes parfaitement flippant. Les répétitions dans le texte, martelé, scandé et ponctué par le fracas des tôles froissées, renforce l'effet dramatique et anxiogène, jusqu'à l'hypnose.

Viande en boîte est donc une réussite totale, économe en moyens mais pas en talents (les comédiens sont formidables), ni en richesse de sens ! Spectateurs, soyez prudents cependant sur cette autoroute perdue: vous risquez le mauvais trip.

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Viande en Boîte, une pièce de Ferdinand Schmalz, traduite par Henri Christophe, mise en scène de Jean-Louis Johannides, avec: Angèle Colas, Vincent Coppey, Guillaume Miramond, Léa Pohlhammer.

Représentations au théâtre POCHE/GVE, à Genève (Suisse),  jusqu'au 15 décembre 2019. Pour en savoir plus, visitez le site Internet du théâtre.

(Texte : Nicolas Metzler, Genève, Suisse / Crédits photos : théâtre POCHE/GVE, Samuel Rubio)