Routes de la soie, de l’or, de la foi…

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Somme monumentale, Les Routes de la soie de Peter Frankopan, historien et professeur à l’Université d’Oxford, est désormais disponible en livre de poche et en version illustrée. Ce livre-référence retrace l’histoire mondiale sous l’angle des grandes routes qui ont concouru à en dessiner le, ou plutôt les visages.

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Salué mondialement, l’ouvrage analyse la naissance et le déclin de civilisations en s’appuyant sur deux réquisits. Primo, un décentrement du regard de l’Occident vers le carrefour névralgique qu’il situe entre la mer Méditerranée et la chaîne himalayenne ; secundo, partir des routes terrestres, maritimes, de l’essor économique dont elles sont le signe.

Au grand récit d’une histoire mondiale axée sur l’essor de l’Occident à partir de la Grèce antique et de l’Empire romain, Peter Frankopan oppose la thèse d’une région-foyer des grandes religions, noyau des civilisations, celle qui s’étend des bords de la Mer Noire, de la Turquie à la Chine. Et c’est autour des axes routiers que l’Histoire s’est constituée : axes commerciaux permettant non seulement les échanges de marchandises, de matières mais aussi d’idées, les routes ont modelé la formation des empires, déterminé les centres politiques, l’évolution des civilisations.

Expansions religieuses

Ce berceau s’étageant de la Mer noire à la Chine a donné naissance à la mythique route de la soie (et actuellement à la nouvelle route de la soie qui, sous l’impulsion d’une Chine se voulant leadership du commerce mondial, est en passe de générer des catastrophes environnementales et humaines), à la route de la foi (la diffusion du christianisme en Asie via les missionnaires, les croisades des Chrétiens afin de reconquérir Jérusalem, l’essor de l’islam), à celle des esclaves sous les Vikings ou encore celles de l’or, de l’or noir, du blé, de la drogue, du pavot. A ces routes, s’ajoute de nos jours la douloureuse route des migrants, des réfugiés politiques, économiques, climatiques. Peter Frankopan démontre comment la route de la soie a, au fil des siècles, permis tour à tour les expansions religieuses du zoroastrisme, du judaïsme, du christianisme et du bouddhisme.

« Des endroits dont les noms sont quasi oubliés ont jadis dominé l’histoire, telle Merv, qu’un géographe du Xème siècle qualifie de « cité délicieuse, belle, brillante, étendue et agréable » et de « mère du monde ».

Par le tracé de routes reliant des régions jusque-là isolées les unes des autres, une activité marchande se met en place, laquelle s’accompagne de luttes pour l’hégémonie, de querelles religieuses, de conflits entre empires, entre puissances afin d’avoir le monopole économique, culturel et géopolitique. Comment les grandes routes ont participé activement au développement des civilisations, aiguisé leurs rivalités, leur volonté de briller, comment elles ont permis des contacts entre peuples éloignés, des brassages d’inventions, de denrées matérielles ou spirituelles, Les Routes de la soie en délivre le récit multimillénaire.

« Ces vibrations se sont propagées sur un réseau qui s’évase dans toutes les directions, celui des routes parcourues par les pèlerins et les guerriers, les nomades et les marchands, où denrées et produits ont été achetés et vendus, les idées échangées, modifiées, enrichies. Elles ont transmis non seulement la prospérité, mais aussi la mort et la violence, la maladie et les fléaux. ».

Au carrefour du meilleur et du pire

Pas de conquête territoriale, de diffusion de découvertes sans les routes qui forment l’infrastructure matérielle décidant de l’orientation des civilisations. Conquêtes des Huns, des Mongols, épidémie de peste noire, acheminement d’épices, d’étoffes précieuses, de soie, de minerais, de ressources premières, lignes ferroviaires, oléoducs, brassage de populations, esprit d’aventure, transport bénéfique ou mortifère d’idées, de produits, de richesses… Les routes sont au carrefour du meilleur et du pire, de l’universalisme et du nationalisme, de l’ouverture et de la compétitivité, de la tolérance et de l’agression militaire. Comme l’expose l’auteur (qui a publié une suite, Les Nouvelles Routes de la soie en 2018), les routes forment le réseau de nerfs qui court sur l’épiderme du globe, un équivalent au niveau macroscopique du système nerveux de l’anatomie humaine.


Peter Frankopan, Les Routes de la soie. L’histoire au cœur du monde, trad. Guillaume Villeneuve, Flammarion, Paris, 2019 pour l’édition de poche.

Et la version illustrée par Neil Packer, éditions Nevicata, Bruxelles, 2019.

(Texte : Véronique Bergen, Bruxelles, Belgique / Crédit photo : Wikipedia)