Routes américaines – La Ruta 40, l’Argentine du Nord au Sud (2/2)
À des milliers de kilomètres de Buenos Aires, la route 40, parfois accidentée, parfois rectiligne, toujours imprévisible, longe la Cordillère des Andes. La parcourir revient à découvrir le caractère de l'Argentine, un pays bien différent de sa capitale. Poursuivons vers le Nord.
Après avoir parcouru le tronçon sud de la Ruta 40 (lire l’article), on reprend la route à partir de Malargüe. Surprise, il y a aussi des guanacos, à cette altitude. On ne parle pas de l’animal à mi-chemin entre le cheval et le lama, mais bien des puits de pétrole qui bordent la route et que l’on a surnommé ainsi à cause de leur forme et de leur mouvement répétitif vers le bas. Le sous-sol de la région est riche en minéraux et la profondeur des puits de pétrole peut atteindre jusqu’à 800 m. Le paysage est sec, la route, poussiéreuse.
Pour le voyageur déshydraté, Mendoza, un peu plus loin, aura des airs de destination 5 étoiles. Capitale argentine du vin, la ville vaut la peine qu’on s’y arrête pour déguster un Malbec, ou deux, ou trois, en gardant en tête que la limite d’alcool sur les routes argentines est de 0,05 %. La majorité des vignobles ne sont pas directement sur le trajet de la 40, mais un détour est si vite arrivé…
Route sacrée
Pendant le trajet, aux abords de la route par ailleurs désolés, vous remarquerez peut-être des rubans rouges qui flottent au vent près d’un petit autel, parfois meublé d’une statue. Ils sont en l’honneur de Gauchito Gil, un saint païen argentin (le pape Francisco tarde à le canoniser, aux dires de certains) un genre d’équivalent de Robin des bois.
D’autres préfèrent vouer un culte à la Difunta Correa, sous la forme de bouteilles d’eau. Explication : Correa, à la recherche de son mari parti au front de la guerre du Paraguay, tente de traverser le désert de San Juan avec son nourrisson. Elle meurt de soif, mais le bébé survit miraculeusement, abreuvé à son sein. Un miracle, car le mercure peut monter à des températures insoutenables (tenez-vous le pour dit). Depuis ce temps, il est coutume de laisser des bouteilles d’eau au bord de la route, en son honneur. Ainsi, si vous croisez un amas de bouteilles de plastique, ce n’est pas le recyclage qui est en retard, mais bien une offrande. Les camionneurs, en particulier, sont de fervents admirateurs de la Difunta Correa, surtout dans la province de San Juan, qui suit Mendoza.
Des hauts et des bas
Tandis que l’on remonte la Ruta 40, le paysage change imperceptiblement, kilomètre après kilomètre. C’est l’avantage de parcourir un pays par la terre, en changeant aussi souvent de parallèle. Sur la 40, il est pourtant difficile de deviner ce qui s’en vient : un microclimat, une côté escarpée ou un rio seco (rivière sèche) après une averse, et nous voilà transporté ailleurs. À Talampaya, à quelques kilomètres de la 40, on a carrément l’impression de se retrouver sur une autre planète, à voir les parois de roches rouges qui se dressent devant nous.
À partir de Belén, on peut s’imaginer au bord d’un bolide de course, filant à travers le quasi-désert. Ce tronçon est en effet emprunté par les participants du Rally Dakar en Argentine, lors de la neuvième étape. En 2016, la chaleur était tellement insoutenable que le trajet a dû être raccourci. Il faut ménager le moteur en conséquence!
En chemin, on passera devant les ruines de Quilmes, du peuple du même nom. Il s’agit du plus grand site archéologique pré-Colombien au pays. Sans être comparable au Machu Picchu, il mérite quand même un arrêt (et il est surtout beaucoup moins visité).
Le Nord traditionnel
Certaines frontières en Argentine ne sont pas géographiques. À partir d’un certain moment, on franchira celle du Noroeste, le Nord-ouest argentin, lande du charango (guitare folklorique), de la peña(fête dansante) et du carnaval. Sur le chemin se trouve Cafayate, haut lieu du Torrentés (vin blanc sucré). On pourra peut-être adopter le rythme des habitants et diminuer nos heures de conduite, en faisant une petite sieste entre 14 h et 17 h. Sinon, soyez avisés que la très grande majorité des commerces seront fermés alors.
De là, la majorité des automobilistes se dirigent vers Salta en prenant la 68. C’est une route pavée, magnifique et directe. Mais on prend l’embranchement de la 40, et on continue plutôt notre route sur le gravier, à vitesse réduite. Il y a Cachi, après 150 kilomètres (le trajet prend 3 heures 30 environ). Si on y est fin janvier, le village est l’hôte de la plus grande fête folklorique du pays.
Plus au Nord, il faudra franchir le col de Abra del Acay, à 4972 mètres au-dessus du niveau de la mer, le plus haut point de la Ruta 40. Ce ne sont pas tous les véhicules qui peuvent y circuler, soyez vigilants selon les conditions météorologiques et la saison. Il est surnommé el nido del viento blanco, le nid du vent blanc. Ensuite, il ne restera qu’environ 400 km de paysages somptueux jusqu’à La Quiaca, où on peut traverser en Bolivie.
On aura donc traversé l’Argentine, du Nord au Sud, sur un étroit chemin. Oui, il y a quelque chose de mythique qui fait de la 40 ce qu’elle est. Non pas une progression logique, un dégradé de paysages et de cultures, mais bien un amalgame, une suite de détours et de paysages inattendus. La parcourir une fois, c’est un rêve. Et y retourner, c’est découvrir chaque fois une nouvelle route.
Lire la première partie (Sud).
(Texte : Nora T. Lamontagne, Québec, Canada / Crédits photo : piccaya, Pascal Rateau, Matyas Rehak,madeinitaly4k, lulu)